Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Le don de la fidélité et la joie de la persévérance

Demeurez dans mon amour (Jn 15,9)

30/052020 Lorenzo Prezzi

La revue italienne Testimoni a proposé au mois de mai, sous la signature de son directeur, cette présentation des nouvelles « Orientations » récemment publiées par la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique. Nous sommes heureux d’en préfacer la traduction française par ce premier coup d’œil sur l’ensemble du document. On notera que le discernement portant sur la sortie de la vie consacrée n’est pas à considérer sur le même plan que celui qu’on a pu mener pour entrer ; sortir d’une forme de vie à laquelle on s’était engagé pour toujours relève d’une démarche spécifique, qu’il ne faut pas trop rapidement considérer comme allant de soi (N.D.L.R. : traduction de notre rédaction).

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Le volumineux document du Dicastère intitulé Le don de la fidélité et la joie de la persévérance. Demeurez dans mon amour [1] a pour but d’élaborer et de proposer quelques indications prévenant l’accompagnement de situations sensibles (n. 3), et en même temps, de fournir aux intéressés les normes du droit canonique et de la pratique du Dicastère qui sont à respecter en pareille situation. Sur un sujet aussi délicat que la sortie de la vie consacrée, il importe d’offrir à la fois un regard attentif et une écoute sincère. Le discernement de l’intéressé, de l’accompagnateur et de la communauté s’avèrent encore plus qu’ailleurs requis.

Les trop nombreux départs

« Envisager le moment de la sortie comme un parcours d’accompagnement vocationnel signifie qu’il faut travailler ensemble pour un discernement qui continue à faire sens, surtout dans ces moments plus délicats et plus importants de la vie, dans une perspective d’intégration dans le respect de la diversité du choix des frères et sœurs » (n. 46). C’est librement qu’on est entré dans la vie consacrée, librement aussi qu’on peut la quitter, mais le sérieux et la cohérence valent pour chaque partie. Cela vaut pour la personne individuelle comme pour la famille religieuse. Et les règles en usage comme la juste attente du peuple de Dieu nous le rappellent. On ne peut accepter sans réserve l’assentiment « entièrement empathique et compréhensif (de notre contexte social) à l’égard de personnes qui rompent des liens de vie assumés de manière irrévocable » (n. 57).

Aujourd’hui, face au manque de persévérance d’innombrables frères et sœurs qui se sont mis avec tant de générosité à la suite du Christ, nous pouvons devenir des juges sévères, mettant en lumière les défaites et la fragilité qui, pour des raisons personnelles, institutionnelles ou de responsabilité collective, n’ont pas été affrontées de manière juste. Celui qui abandonne devra se poser sérieusement la question de savoir pour quelle raison son choix vocationnel a échoué ; et celui qui reste devra lui aussi se questionner sur la cohérence de son choix de continuer et sur son éventuelle implication dans les causes de l’éloignement et du refroidissement de la persévérance de celui qui s’en va. Nous sommes tous réciproquement responsables et gardiens de nos frères et sœurs, spécialement des plus fragiles, parce nous sommes « réunis dans le Christ comme une seule famille particulière » ; et les liens de fraternité doivent être cultivés avec loyauté, afin de créer pour tous une aide mutuelle en vue de la réalisation de la vocation de chacun » (n. 99).

Choix de vie et esprit du monde

La culture du fragmentaire, du provisoire, des « engagements qui ne tiennent pas », enveloppe la vie consacrée aussi bien que l’expérience de tous. De manière particulière, l’incertitude et la désorientation s’insinuent dans la vie consacrée qui semble avoir perdu sa capacité d’attraction. Mais, comme dit le pape « une suite du Christ triste est une triste suite du Christ ». Une des conséquences de cette situation est l’incapacité à prévenir les malaises, les crises et les maux divers, laissant aller les plus fragiles à la dérive. Une situation que le texte affronte à plusieurs niveaux, en particulier selon les dimensions théologique, ecclésiale, spirituelle, personnelle et communautaire.

Le Dieu des chrétiens est un Dieu fidèle Toute l’Écriture est imprégnée de la fidélité de son alliance. Jésus en est le témoin exemplaire. Le religieux entre dans le « Oui » du Christ, dans sa pleine adhésion à la volonté du Père. Le document retrace les multiples pages de l’Ancien et du Nouveau Testament qui insistent sur la force de sa fidélité : des prophètes à l’évangile de saint Jean, de la lettre aux Hébreux à celle de saint Jacques. Dans cette continuité se situe aussi le magistère ecclésial. De nombreux textes postconciliaires qui parlent de la vie consacrée sont parcourus : d’Evangelica testificatio à Vita consecrata, de Potissimum istitutioni à Repartir du Christ, de la « Lettre aux consacrés pour l’année de la Vie consacrée » à l’écrit sur la Vie fraternelle en communauté.

La fidélité du Christ se fonde sur le baptême et se reflète dans le choix de la consécration. « Tel est le sens de la vocation à la vie consacrée : une initiative du Père, qui requiert de celui qu’il a appelé une offrande totale et exclusive. L’expérience de cet amour gratuit de Dieu est tellement intime et fort que la personne ressent qu’elle doit y répondre avec un engagement inconditionnel, lui consacrant tout, le présent et le futur, entre ses mains » (n. 32).

Proche de la persévérance se situe la joie : « Nous ne devons pas oublier que la paix et le désir de rester ensemble demeurent un des signes du Royaume de Dieu. La joie de vivre même au milieu des difficultés du chemin humain et spirituel comme au milieu des ennuis quotidiens fait partie du règne de Dieu. Cette joie est le fruit de l’Esprit et embrasse la simplicité de l’existence et le tissu monotone du quotidien. Une fraternité sans joie est une fraternité qui s’éteint et bien vite les membres seront tentés de chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvent pas dans leur propre maison » (n. 42).

Conscience et discernement

Les sources, les valeurs et les références n’ont pas toujours pris corps dans le vécu. La crise de la foi vaut aussi pour les religieux et religieuses. Si elle n’est pas traversée positivement, elle peut provoquer la sortie. Ou pire encore, si on manque de courage, on continue une vie communautaire comme en l’absence de Dieu. Le choix du célibat est souvent mis en question, assumant le jugement mondain qui prétend que toute contrainte ou obstacle affaiblit ou détruit une liberté supposée. Ce jugement imprègne les règles à observer, le travail à faire, les relations à garder. La solitude peut mener à l’isolement et à la dépendance d’internet. Une générosité excessive dans la mission peut conduire à l’activisme et à l’individualisme en cas de conflits non contrôlés. « Un style de vie qui s’attache aux sécurités économiques, ou à l’espace du pouvoir ou à la gloire humaine s’installe alors au lieu de donner la vie pour les autres » (n. 22).

Pour toutes ces raisons, le texte insiste beaucoup sur la formation personnelle, sur le développement de son identité, « soit dans la perspective psycho-sexuelle, soit dans la perspective rationnelle et affective », soit dans la perspective spirituelle et ecclésiale (n. 12). Face à toutes ces crises, une orientation claire s’impose, ainsi qu’un soutien bienveillant par des professionnels et avant tout, par « l’exercice d’un discernement partagé » (n. 47). Ainsi mûrit la nécessité d’un vrai ministère de discernement non seulement pour ceux qui traversent une crise, mais bien pour tous ceux qui dans la persévérance, désirent remotiver le sens de leur propre fidélité » (n. 49) .

Un point d’attention porte sur la conscience personnelle qui est capable de traverser l’épreuve pour assumer une responsabilité qui ne peut pas être laissée à l’improvisation. Il s’agit d’écouter ses propres affects en les vérifiant par rapport à l’appel divin, de reconnaître sa propre vocation, de vérifier sa propre décision de vie. « La vie est ainsi intégralement don qui se convertit en désir ardent de faire du bien à l’autre. Il s’agit d’un processus de conversion qui ne peut pas faire abstraction de la connaissance de soi en profondeur » (n. 51). « Dans le paradoxe chrétien, dans ses racines profondément humaines, l’épanouissement de soi est offert à celui qui se donne sans réserve, jusqu’à la mort », écartant la recherche de « confirmations multiples et sans rester sujettes aux inévitables peurs qui se présentent au cours de la vie » (n. 52). Ainsi seulement reprend sens et beauté le « pour toujours » de ce qui semble avoir disparu dans le langage de la culture contemporaine : le choix irrévocable.

Vie fraternelle et droit

Le rôle de l’accompagnateur, du père spirituel et surtout de la communauté sont de grande importance. « Puisque la qualité médiocre de la vie fraternelle est souvent citée comme motivation d’abandon, la fraternité vécue constitue et constituera toujours un soutien valide pour la persévérance de nombreuses personnes. Dans une communauté vraiment fraternelle, chacun se sent responsable de la fidélité de l’autre, chacun donne sa contribution pour un partage de vie serein, de compréhension, d’aide réciproque ; chacun est atteint aux moments de fatigue, de souffrance, d’isolement, d’absence de motivation du frère, chacun offre son soutien à celui qui est attristé par les difficultés et les épreuves. Ainsi la communauté religieuse qui fait surgir la persévérance de ses membres, acquiert la force de signifier l’infaillible fidélité de Dieu » (n. 37).

La Troisième partie du texte offre le cadre normatif qui règle les diverses formes d’exclaustration ou de sortie de la vie commune. C’est une partie technique, mais très utile pour les personnes concernées et pour les supérieurs qui y trouveront ce qu’il faut pour harmoniser leur propre procédure avec celle qui est pratiquée par le Dicastère. Cette partie passe en revue les modalités diverses de séparation de l’Institut : l’absence légitime et illégitime, le passage à un autre Institut, l’exclaustration demandée et imposée, l’indult de sortie (pendant la période des vœux temporaires et des vœux perpétuels pour les religieux et pour les clercs), la procédure d’exclusion ipso facto, obligatoire, facultative, etc. Cet ensemble de normes pour les membres concernés et les supérieurs montre d’une part les exigences à rencontrer et d’autre part, assure aux intéressés leurs droits dans leurs décisions. Derrière toutes ces données se devinent l’infinie variété des situations de vie, les blessures et les passions des uns et des autres, les préoccupations pour garantir des procédés corrects et respectueux. Mais aussi la difficulté d’alimenter ce courant de chaleur et de vie du charisme, la capacité d’invention et la générosité offerte de dons spirituels anciens et nouveaux. Peut-être aurait-on pu profiter d’un regard parallèle sur les difficultés et les potentialités du couple et de la famille et sur ce nouveau statut de vie qu’est celui des « singles », ceux-là, nombreux, qui vivent une solitude sans l’avoir choisie.

La conclusion tourne autour du thème johannique du « demeurer ». Pour éviter le drame de l’abandon du disciple et la possible stérilité de la vocation, les disciples sont invités avec insistance à « demeurer ». Ce verbe tellement cher au quatrième évangile renvoie au désir et à l’engagement constant de correspondre à l’amour d’alliance et à l’adhésion au style du Christ. « Demeurer dans l’amour, c’est comprendre aussi que l’amour est un service et un prendre soin des autres » (n. 104-105).

[1Maintenant disponible en langue française. En vente via le site de la Libreria editrice vaticana. Une version numérique est accessible sur notre site.

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