Alors qu’il visitait l’Algérie, le card. Tauran, au sortir d’un déjeuner, aperçut une Petite Sœur des Pauvres « qui était au pied d’un vieillard qu’elle soignait. “C’est cela l’Église !”, s’exclama-t-il alors devant l’ami qui l’accompagnait ». Cette anecdote ressaisit le propos central de l’ouvrage qu’A.-M. Pelletier publia en 2019 sur les femmes dans l’Église. « Tout tient ici – commente-t-elle – dans un regard, une attention à un geste féminin appartenant à la banalité de la sollicitude féminine. Or c’est précisément de ce regard que l’institution ecclésiale est en déficit ». C’est ainsi que le cinquième et dernier chapitre du livre, intitulé « Éclats de féminin », porte l’attention sur quelques femmes singulières. Depuis Z. Essayan ou E. Hillesum, si attentives à recueillir les larmes perdues, à la Vierge Marie, humblement tenace dans l’Espérance, en passant par les « mystiques » Thérèse de Lisieux ou Marie Noël, elles sont des porte-parole de ce « signe de la femme » dont l’A. appelle de ses vœux la reconnaissance ecclésiale. Auparavant, le propos aura été développé en trois moments.
Tout d’abord, le chapitre 1, apéritif, revient sur le discours féminin de l’Église depuis le Concile Vatican II jusqu’au Pape François, pour en souligner la lente éclosion mais sans cacher ni les ambiguïtés des discours louangeurs du « génie féminin », ni le silence qui pesa et pèse encore sur la « mémoire du corps féminin » dans le dossier Humanae Vitae.
Ensuite, les chapitres 2 et 3, bibliques, montrent comment la problématique posée invite à un renouvellement de la lecture des Écritures. Car si l’androcentrisme et la misogynie sont la matrice du monde des Écritures, auquel souscrivent bien souvent les rédacteurs bibliques, l’A. montre avec finesse qu’une lecture soutenue permet en réalité d’attester de la puissance de subversion de ces mêmes Écritures et d’atteindre le niveau de l’histoire profonde, de qualité proprement divine, où les femmes œuvrent avec un poids largement aussi déterminant que les hommes. Ainsi, la référence à l’expérience des femmes est indispensable à la révélation de la tendresse et de la fidélité de Dieu. Et plus loin, il sera précisé que le plus décisif de cette expérience pourrait être le rapport féminin à la temporalité qui valorise la durée longue de la maturation et de la fidélité.
Enfin le chapitre 4, intitulé « Le temps des femmes : quelle chance pour l’Église ? », entend, tout à la fois, et restituer au sacerdoce baptismal sa centralité, et expliciter à frais nouveaux la fonction et la nécessité du sacerdoce ministériel, non sans perdre de vue le réel des pratiques et des structures de la vie ecclésiale Pour l’A., la voie à suivre n’est pas d’ouvrir le sacerdoce ministériel aux femmes mais plutôt de montrer que leur grande force dans le monde catholique est d’être disponibles pour porter haut et fort l’affirmation de la dignité indépassable du sacerdoce baptismal. Cela dit, les 7 considérations exploratoires sur le sacerdoce ministériel (p. 141-151) ont valeur de traité et devraient être lues par beaucoup. En bref, l’enjeu est bien de revisiter la vie de l’Église dans son entier et, pour cela, d’atteindre la profondeur des réalités théologiques en lesquelles se fonde l’Église. Il en va in fine de la crédibilité du témoignage rendu à l’Évangile : pour être accueilli par le monde contemporain, il ne pourra être que celui de relations refaites, recréées par la reconnaissance, l’estime et l’amour mutuel.
Si dans l’univers biblique la sagesse se conjugue au féminin, l’A. en a fait preuve plutôt deux fois qu’une dans ce livre que rehausse encore une des nombreuses perles dont il est prodigue, à savoir que si le sacerdoce ministériel devrait être « l’opérateur d’un décentrement fondamental » (dès lors qu’à travers lui, l’Église éprouve cette vérité que c’est d’un Autre que lui viennent son existence et les moyens de sa mission), les femmes sans ce sacerdoce, ont, quant à elles, une fonction non moins essentielle : fonction de recentrage, en rappelant à tous (clercs compris) le centre de gravité de toute vie évangélique.
Qu’il soit donc permis à l’auteur de cette recension, qui est prêtre, de remercier vivement l’auteure de ce livre, qui est une femme dans l’Église, pour ce retour au centre si salutaire.
Éditions du Cerf, Paris, septembre 2019
248 pages · 19,00 EUR
Dimensions : 13,5 x 21 cm
ISBN : 9782204134309