Les lecteurs qui connaissent l’auteur d’origine canadienne à travers ses multiples livres sur la prière, les saints, notamment Sainte Thérèse de Lisieux, et plus récemment Saint Charles de Foucauld (lire la recension) peuvent se réjouir de cette autobiographie spirituelle, sous-titre du livre. Plus de 80 ouvrages parus au Québec et en Europe, et traduits en plusieurs langues sortent de la plume alerte de cet A. qui avoue parler de lui en pensant à Dieu et parler à Dieu en pensant à moi (p. 14). D’abord il est poète depuis longtemps – La poésie, mes amours premières, est la lucidité d’une conscience, la transmission d’un souffle –, essayiste et aussi romancier qui a enlevé ses souliers d’essayiste tout en gardant ceux du poète pour emprunter le passage à la narration, où le rationnel fait un peu de place à l’émotion (p. 200-201). Il avoue en toute vérité que tout m’est donné, même mes livres. Si j’en parle tant, c’est qu’ils sont inhérents à ma vie. Ils m’apparaissent comme des repères essentiels qui balisent l’ensemble de mon parcours atypique (p. 223). Voilà le ton donné ! Ce parcours est le témoignage d’un long cheminement avec Dieu.

D’origine québécoise, marié et père de famille, Jacques Gauthier a enseigné durant vingt ans à l’Institut de pastorale de l’université Saint-Paul d’Ottawa. Devenu rédacteur aux Éditions Novalis, il collabore ensuite à l’émission Le Jour du Seigneur de Radio Canada, donne des conférences tant au Québec qu’en France comme en d’autres pays et anime régulièrement des retraites spirituelles d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique.

Avec lucidité et authenticité, l’A. déroule sa recherche, son angoisse et son audace de risquer sa vie sur l’invisible. D’une enfance heureuse en passant par une adolescence tourmentée, le jeune Jacques fait l’expérience d’une nouvelle naissance le 2 juin 1972. À 20 ans, la foi chrétienne devient pour moi chemin de bonheur et source de joie, chant de liberté et danse pour la raison. Dieu est, et tout s’éclaire (p. 63). Il rencontre les pauvres de l’Arche et de l’intérieur, Jean de la Croix qui répond à sa quête spirituelle et qui lui donne le désir d’écrire un jour des livres de spiritualité (p. 78). Une autre source se débloque en lui, celle de la prière intérieure, de l’oraison silencieuse. Il est prêt à tout quitter et demande à entrer à la Trappe d’Oka. Il gardera toute sa vie une tendre affection pour ses frères cisterciens d’Oka, morts et vivants. En 2016, il animera leur retraite communautaire sur la miséricorde chez Saint Bernard (p. 105). Aux endroits où je suis passé, je me suis toujours arrangé pour ne pas claquer la porte, mais partir dans la paix et l’harmonie, fidèle à l’esprit de l’Évangile : l’Arche, l’abbaye d’Oka, le Café chrétien, l’Arche d’alliance (maison de prière et de retraites spirituelles)... (p. 242).

Durant ses études de théologie à l’université de Laval, il est fasciné par Patrice de la Tour du Pin, dont la vie demeure pour moi une heureuse intégration de l’amour, la foi et la poésie (p. 139), la première découverte du poète datant de mai 1973 à travers une de ses hymnes qui n’a pas pris une ride, entendue à l’abbaye de Bellefontaine (Maine-et-Loire). Il y lit sa propre quête de Dieu, celle du Christ pascal. En 1987 il présente son mémoire de maîtrise sur Patrice de la Tour du Pin, quêteur du Dieu de joie, qui dialogue avec la culture de son temps et qui se dépasse en poésie pour accéder à une théopoésie où le langage symbolique est au service de la révélation du Dieu Amour (p. 147). Jacques Gauthier suivra le même chemin. Sa thèse de doctorat sur ce même poète et mystique discret, résolument non médiatique, est publiée en 1989 sur le sujet : Comment la théopoésie, qui est une quête du Christ, organise-t-elle les rapports entre la théologie et la poésie ? (p. 148). La théopoésie est le service de Dieu par la poésie, la parole d’un homme à l’écoute de l’autre Parole pour dire Dieu à ses contemporains (p. 149). Ce qui fera toute son exigence et sa joie intérieure. Son enseignement théologique est existentiel et pratique, en dialogue avec les problèmes sociétals. Lors de la naissance de ses enfants, Jacques regarde par la fenêtre de la confiance et retrouve le nœud caché par lequel (il) se lie à l’enfance (p. 155). Pourtant la crise de la quarantaine creuse en lui un vide profond que la présence de la jeune carmélite de Lisieux vient combler – et il écrira alors le livre que j’aurais aimé lire quand je traversais cette crise (p. 195). Thérèse m’attendait dans mon néant. Je lui ouvris la porte et elle prit toute la place (p. 177). Ses livres sur sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus se suivront rapidement et avec bonheur, Jacques accompagnera le Reliquaire de Thérèse à travers le Canada en 2001. D’autres formes d’engagement lui deviennent lieux de mission : chroniqueur pour Prions en Église, fondateur de la revue Prière qui deviendra L’aventure intérieure et aujourd’hui Prier la Parole, toujours aux Editions Novalis.

Au fil de ces pages de vie, le lecteur découvrira de fortes méditations sur l’amour conjugal, sur le passage de la vie à la Vie, sur sa vocation d’auteur, toujours sur toile de fond existentielle et réaliste. J’écris pour comprendre et répondre à un appel. Le livre demeure pour moi l’objet concret où j’offre la plénitude qui m’est donnée. Le livre émeut, séduit, console, surprend, instruit. Il ouvre des portes en nous et sur le monde (p. 192). Ce chantre de Dieu fait de quelques mots aimés une maison qu’il habite (p. 317), voyant la vie en poète et la traversant en croyant (p. 318). Comment ne pas citer en finale ces quelques vers issus de sa plume alerte et véridique qui invite son lecteur à reconnaître la trace de Dieu dans sa vie comme il l’a reconnue et suivie dans la sienne : Je suis homme de mémoire / à côté de mon époque / en avance d’un rêve / en retard d’un éclair / traversé par l’espérance / que je largue dans l’avenir / habité par la confiance / qui déborde du présent (Un souffle de fin silence, Éditions du Noroît 2017, Prix littéraire Le Droit).