La fin de la vie de Maître Eckhart demeure un mystère, dans tous les sens du terme. Comment ce maître en théologie de l’Université de Paris a-t-il pu en venir à faire l’objet d’un procès en hérésie ? Comment ce grand prédicateur qui voulait être, pour les moniales dominicaines et les béguines, non seulement un « Lesemeister » enseignant les Écritures, mais aussi un « Lebemeister », un maître de vie, a-t-il pu être considéré comme développant des doctrines pernicieuses ? Et comment ce frère dominicain qui invitait à suivre un chemin de « détachement », a-t-il pu mourir, seul, sur la route qui le menait de son couvent de Cologne vers Avignon où il voulait en appeler au pape, sans que jamais aient été connus ni le lieu ni la date de son décès ? Comment a-t-il pu devenir ainsi, parabole vivante, l’incarnation même de la voie spirituelle qu’il proposait jusqu’à l’anéantissement permettant la naissance de Dieu dans l’âme ?
Ce sont ses derniers jours sur le chemin de l’« anéantissement » qu’essaie d’éclairer le frère Rémy Valléjo, o.p., en bon connaisseur de la mystique rhénane. En l’absence de sources historiques, il ne lui restait qu’à trouver dans l’œuvre même d’Eckhart, et particulièrement ses sermons, le récit de ce dernier voyage, plus intérieur qu’extérieur. Il le décrit en treize stations, comme un chemin de croix dans l’inconnaissance, l’incompréhension de ce qui lui est donné de vivre, jusqu’au dessaisissement final, en un style tendu, poétique, parfois presque trop lyrique. La défense d’Eckhart devant ses juges, ses débats intérieurs permettent à l’A. de citer de larges extraits de ses textes, créant ainsi un parallèle saisissant entre la destinée de l’homme et sa doctrine, comme l’incarnation en sa vie de sa parole, écho de la Parole. Dans son effort pour saisir l’insaisissable, la reconstruction imaginaire de l’A., puissante et bien informée, est cependant parfois à la limite de l’afféterie ; et sa parole n’est jamais plus efficace que lorsqu’elle s’efface devant la parole nue de Maître Eckhart, affronté à « (sa) fin ultime, quand l’ad-Verbe que je suis, non plus seulement tendu vers le Verbe mais conformé en Lui dans l’essence même de la Vérité, dit Dieu, tel qu’Il se dit lui-même, dans toute sa simplicité, afin que tu deviennes Un avec lui » (Dit n°28, cité p. 201).
Éditions du Cerf, Paris, mars 2021
232 pages · 18,00 EUR
Dimensions : 13,5 x 21 cm
ISBN : 9782204143127