Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Mgr Kabanga et la vie religieuse au Congo

Léon Ngoy Kalumba, s.j.

N°2019-2 Avril 2019

| P. 33-38 |

Kairos

Jésuite congolais, le P. Léon Ngoy Kalumba est professeur à l’Université de Lubumbashi. Ancien secrétaire de la commission épiscopale chargée de la vie consacrée de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo de 2004 à 2007, il enseigne la théologie spirituelle dans plusieurs institutions ecclésiastiques de Kinshasa, de Lubumbashi et d’Abidjan.

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Présente en République Démocratique du Congo (RDC) depuis les débuts de l’évangélisation de ce pays-continent, la vie consacrée a beaucoup apporté à ses habitants. Le jésuite Ngenzhi Lonta, pour qui « c’est sous l’habit religieux que l’Afrique rencontre le christianisme », constate que

les religieux missionnaires ont traversé trois étapes : dans la première, immortalisée par le Broussard Héroïque, il est surtout un diffuseur du kérygme, en parcourant les sentiers africains, voyageurs, itinérants, comme Paul semant la Parole à travers l’empire romain. Dans la deuxième phase, le religieux missionnaire devient gestionnaire d’Églises : vicariats et préfectures apostoliques. Dans la troisième phase, la nôtre, le religieux a surtout à trouver et développer sa spécificité au sein d’Églises diocésaines et interdiocésaines.

Nous nous sommes attachés, dans une précédente étude, à la vie consacrée autochtone en RDC, spécialement dans sa partie australe, dans l’archidiocèse de Lubumbashi [1] où Mgr Kabanga devrait être considéré comme fondateur de la vie religieuse autochtone [2].

Mgr Kabanga et l’inculturation du message divin

Pour Mgr Kabanga, le processus de l’inculturation part de la compréhension du mystère de l’Incarnation ; « c’est toujours, affirme-t-il, la Parole de Dieu, le Verbe fait chair qui nous a guidé dans nos orientations pastorales fondamentales : celle des vocations, celle de la formation des laïcs et celle de la famille [3] ». C’est sous le signe du mystère de l’Incarnation que le premier archevêque congolais de l’archidiocèse de Lubumbashi lit toute sa pastorale ; il dit lors du Triduum pascal de 1991 :

Cette semaine sainte de l’année 1991, veille de notre 25e année de service épiscopal en notre archidiocèse de Lubumbashi, me donne seulement l’occasion de re-méditer avec vous sur l’importance que nous accordons chez nous à l’inculturation du Message Divin, mais aussi et surtout, il constitue une occasion opportune de convier chaque agent pastoral de notre diocèse à reconsidérer son action évangélique, à savoir si elle a contribué au progrès ou à la régression de cette pastorale de l’Incarnation que je n’ai jamais cessé d’appeler de tous mes vœux.

On retrouve aujourd’hui dans pratiquement tous les diocèses du Congo des Instituts (congrégations) féminins de droit diocésain nés localement [4] ; le nombre des familles religieuses masculines de droit diocésain est par contre, nous l’avons montré précédemment, beaucoup plus réduit [5].

Mgr Kabanga, à la différence du cardinal Malula, désirait que les sœurs recourent aux deux pagnes (les sœurs Bakhita sont les premières à en porter) pour insister sur la maternité spirituelle. C’est ainsi que plusieurs autres Congrégations religieuses féminines ont opté pour le port de deux pagnes, justement pour marquer leur identité de « maman africaine » : elles mettent en évidence le sens de la maternité spirituelle de leur consécration religieuse. Et dans l’une ou l’autre Congrégation, les sœurs professes se font effectivement appeler « mama [6] ». Les deux évêques avaient eu l’idée de créer une seule congrégation de droit diocésain pour tout le pays. Les circonstances de l’histoire ont fait que d’un côté les sœurs de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus sont nées à Kinshasa, et de l’autre, les sœurs Bakhita à Lubumbashi [7].

Sous une forme ou sous une autre, les charismes des congrégations autochtones font leur chemin. La première Bienheureuse congolaise, Marie-Clémentine Anuarite Nengapeta, fut membre de la congrégation de la Sainte Famille- Jamaa Takatifu. Nous sommes convaincus que l’enracinement de la vie consacrée en RDC et en Afrique passera par la reconnaissance, la valorisation et le vécu sérieux (de la part de ses membres) de ces charismes nés sur la terre africaine.

Mgr Kabanga, fondateur des instituts autochtones de vie religieuse à Lubumbashi

Mgr Kabanga est le fondateur de la Congrégation des Sœurs de la Famille Bakhita (1967), des Filles de l’Incarnation (1983), des Fils de l’Incarnation (1983), des Marguerites. Pour les Marguerites, il s’agit d’exploiter le visage de Marie comme enfant, de présenter comme modèle aux jeunes et développer une spiritualité qui insiste sur la pureté de l’enfance, de la jeunesse.

● Inculturation et incarnation

L’inculturation comme incarnation se trouve à la base du charisme que Mgr Kabanga a reconnu dans ces différentes familles religieuses, mais chaque fois, avec un accent unique pour chacune d’entre elles ; l’incarnation a guidé non seulement son orientation pastorale en général, mais aussi la définition des vocations des familles religieuses qu’il a fondées [8]. Nous constatons que Mgr Kabanga se trouve parmi les pionniers de cette pensée de l’inculturation comme incarnation, bientôt adoptée par les épiscopats africains.

● Les Sœurs de la Famille Bakhita

La congrégation accueille « celles qui sont attirées par un idéal d’Incarnation à l’exemple de Notre Seigneur Jésus-Christ (Jn 1,14) [9] ». Il s’agit pour les sœurs de contempler, d’honorer et d’imiter ce Verbe fait chair pour mieux vivre et exprimer ce mystère de l’incarnation. Les sœurs s’insèrent dans la mission de l’Église qui est « celle de porter l’Évangile à tous les hommes à la suite de son divin Maître, Notre Seigneur Jésus-Christ [10] ». Le service de Dieu et de l’Église se concrétise dans la recherche, dans la lutte à recouvrer sa dignité d’homme créé à l’image de Dieu. On comprend alors que le fondateur ne parle pas seulement de l’homme qui se situe dans les cas-limite de maladie et d’ignorance, mais bien de toute personne se trouvant dans le besoin d’être sauvée quel que soit le lieu ou le type de profession qu’elle exerce. L’apostolat particulier de la sœur Bakhita est en définitive un apostolat de présence au monde. « Le Christ a aimé la foule pour exprimer tout l’amour qu’il portait à son Père (Mt 9,36). C’est pourquoi l’amour de la religieuse Bakhita pour le Christ se traduit par un attachement à la foule des humains et particulièrement les foules abandonnées [11] ». Kyenge Yvette, religieuse Bakhita, peut affirmer :

Quoi de plus naturel pour les sœurs de la famille Bakhita ayant à cœur de vivre une présence réelle, ecclésiale au monde, de choisir une vie incarnée parmi les hommes, parmi leurs frères, à l’exemple du Fils de Dieu incarné dans l’humanité. C’est aussi pour répondre à l’appel de Dieu et concrétiser le souhait de la Bienheureuse Joséphine Bakhita qui voulait revenir en Afrique afin de montrer à tous la Bonté et la Douceur de Dieu.

Comme moyens spirituels pour arriver à cette fin, Mgr Kabanga propose, à la religieuse Bakhita, l’adoration dans un schéma plein de la démarche de l’incarnation, la rencontre de l’autre inspirée de la rencontre Dieu et l’Homme (Jésus) ou encore des pédagogies inspirées de la sagesse de nos cultures : la mystique des cinq doigts, les rites d’entrée au noviciat et de profession religieuse, les huit lois de l’Incarnation... C’est « une vie consacrée d’inspiration africaine [12] ».

● Les Fils de l’Incarnation

La fondation de la Congrégation des Fils de l’Incarnation est marquée par la Lettre pastorale La descente aux enfers qui fut rédigée à l’occasion du 50e anniversaire de naissance de l’archevêque, de son 21e anniversaire d’ordination sacerdotale et de son 15e anniversaire d’épiscopat. Après avoir établi des raisons d’espérer en l’avenir, il dit entre autres choses :

Le chemin est dur et porte le sceau crucifiant de la croix. Nous souhaitons concrètement le dépouillement des puissants moyens d’évangélisation. C’est en vue d’entreprendre une action, une mystique en communion avec le peuple, celle de l’Incarnation. L’objet en vue, c’est d’une part d’exploiter nos potentialités économiques, sociales et culturelles, en menant une vie d’homme adulte, responsable et façonneur de sa destinée. Pour le décollage de notre région au niveau économique, social et culturel, il est nécessaire que le personnel diocésain, si pas tout agent de l’évangélisation, accepte de s’engager dans cette optique. L’avènement des Congrégations et Instituts séculiers ayant pour mystique l’Incarnation est nécessaire.

La Congrégation des Fils de l’Incarnation insiste sur l’orientation au service de la présence sacerdotale du Christ dans le monde soutenu par la consécration religieuse. À la manière du Christ (Ph 2,5-11), le fils de l’Incarnation, s’abaisse pour la Glorification de Dieu ; il rejoint l’homme, tout homme et tout l’homme [13]. Six secteurs constituent le champ prioritaire d’évangélisation : l’habitat, l’environnement, l’agriculture, l’élevage, la santé, l’éducation.

*

Pour Mgr Kabanga, la vie religieuse doit être centrée sur le mystère de l’incarnation : donner un visage africain à la vie religieuse, un enracinement de la vie religieuse et sacerdotale dans le milieu et la culture africains. Il avait comme devise épiscopale, instaurare omnia in Christo. « La meilleure façon de pleurer un parent, dit un proverbe africain, est de continuer à cultiver le champ qu’il a laissé ». Le vécu du charisme de l’Incarnation dans la fidélité créatrice en fera bénéficier toute l’Église.

[1Voir L. Ngoy, « Vie consacrée et évangélisation dans l’Église Famille de Dieu en RDC », dans VsCs 2007-1, p. 41-53.

[2Voir W. Musanzi-Mavula, Mgr Eugène Kabanga. Destin d’un visionnaire aux prises avec la réalité sociopolitique de son peuple, Lubumbashi, Éd. de l’Espoir, 2008 ; O. Nkulu Kabamba, Mgr Kabanga Songa-Songa. Le pionnier et les diocèses du Katanga, Bruxelles, Éd. Memor, 2006.

[3Mgr E. Kabanga, J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé (2 Co 4,13), Lubumbashi, Éd. Centre interdiocésain, 1995, p. 58. L’ouvrage réunit ses lettres pastorales (1975-1994).

[4Par exemple Filles de la Résurrection à Bukavu (1966) ; Sœurs de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de Mbuji-Mayi (1959), de Lisala (1967), de Basankusu (1975), de Budjala (1980), de Bokungu (1983) ; Sœurs du Cœur Immaculé de Marie de Lwebo (1960), de Lwiza (1960), de Kananga (1961) ; Sœurs de Marie Reine des Apôtres de Kabinda (1969) ; Sœurs Congolaises de l’Immaculée Conception de Inongo(1969), etc.

[5Frères de l’Assomption de Butembo (1952), Frères de Notre-Dame des Apôtres de Kasongo (1959), Fraternité Balangwa Kristu de Basankusu(1976), Frères de St Joseph Travailleur de Mbandaka(1978), Frères de Saint François d’Assise de Likasi (1979), etc.

[6Par exemple chez les Sœurs de Saint Joseph Auxiliatrices de l’Église (de Kalemie-Kirungu).

[7Depuis le Grand Séminaire de Baudouinville, le séminariste Eugène Kabanga avait une dévotion pour Bakhita.

[8Mgr Kabanga, « La descente aux enfers », Lettre pastorale d’octobre 1982.

[9Mgr Kabanga, Constitutions des sœurs de la famille Bakhita.

[10Constitutions, introduction.

[11Constitutions, art. 1b.

[12Y. Kyenge Kanengele, Évangélisation..., op. cit., p. 27-43.

[13Constitutions de la Congrégation des Fils de l’Incarnation, introduction et première partie.

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