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Le renouveau de la mission dans les instituts religieux apostoliques (II)

Joseph Aubry, s.d.b.

N°1986-2 Mars 1986

| P. 89-106 |

Dans un premier article, l’auteur a tenté de faire le point sur la situation actuelle des instituts religieux apostoliques. Il y commençait un discernement des conditions nécessaires pour poursuivre et confirmer la rénovation de la mission afin qu’elle porte des fruits durables. Il rappelait la nécessaire insertion dans l’Église missionnaire ainsi que le besoin urgent de témoins du Dieu vivant. Dans ce second article, il analyse la manière dont les religieux sont appelés à être « experts de communion » et comment ils sont invités à retrouver le dynamisme charismatique des fondateurs dans leurs choix apostoliques d’évangélisation, de promotion de l’homme, d’exercice de la miséricorde.
Voir la première partie dans Vie consacrée, 1986, 31-46.

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Missionnaires en étant des « experts de communion »

Proclamer de façon existentielle que la communion est la vocation de l’Église et du monde

Un deuxième contenu de la mission des religieux de vie active et un deuxième pôle de leur rénovation en vue du futur est la proclamation existentielle de la « communion ». C’est une valeur qu’on est en train de redécouvrir en beaucoup d’instituts et de communautés, après une période douloureuse de désagrégation. La communion exprimée sous la forme de la vie communautaire est à la fois une composante essentielle de la vocation et de la vie des religieux, une modalité de leur activité, un élément de leur mission elle-même.

Certes bien des nuances seraient à introduire ici, sur lesquelles il n’est pas possible de s’arrêter. Une grande diversité d’idéaux et de styles de vie communautaire se manifeste non seulement entre les « contemplatifs » et les « actifs », mais, à l’intérieur même de la vie religieuse apostolique, entre les chanoines réguliers, les conventuels, les clercs réguliers, les congrégations apostoliques, les sociétés de vie apostolique, et, entre les instituts d’une même catégorie, selon l’esprit et les insistances du fondateur ou de la fondatrice.

Un groupe religieux apostolique, disent beaucoup d’entre eux, ne doit pas se centrer sur sa vie fraternelle : sa vocation principale est d’accomplir un certain ministère dans l’Église, et donc la vie communautaire elle-même se trouve polarisée par la mission et s’adapte à la tâche à accomplir ensemble. Le sens communautaire s’exprime principalement dans la coresponsabilité et la collaboration.

C’est vrai. Toutefois cela ne peut faire disparaître un certain sens « gratuit » de la communion fraternelle. La convivialité religieuse ne se réduit pas au rôle de pur moyen pour travailler plus efficacement. S’il en était ainsi, la communauté religieuse ne serait qu’un groupe ou une équipe de travail, uniquement préoccupé de la « production » apostolique, et non pas une communauté de frères ou de sœurs appelés à réaliser leur communion interpersonnelle. Réaliser la communauté fraternelle est aussi une raison d’être de la communauté, est aussi de l’ordre de ses fins. C’est la conscience de cette réalité qui s’est accrue dans tous les instituts en ces dernières années, sous l’influence de trois facteurs.

En premier lieu a joué l’expérience personnelle du religieux apôtre : venant d’un monde où tous sont exposés à l’anonymat et à la solitude, il entre aujourd’hui dans la vie religieuse aussi pour faire l’expérience de la communauté, élément important de la vocation humaine elle-même, requête fondamentale du cœur humain fait pour aimer et être aimé. Quand cette aspiration si légitime n’est pas reconnue ni exaucée, alors, un beau jour, on se sent frustré et en quelque façon exploité, traité non plus comme une personne en soi absolue, mais comme une pièce de la « machine apostolique » à faire fonctionner. Certaines communautés, souvent fort généreuses, n’échappent pas à ce risque : le coude à coude apostolique y fait disparaître l’indispensable face à face fraternel.

La valorisation de la communauté est venue d’autre part au confluent de la redécouverte de l’Église-communion et de la conscience que la communauté religieuse en est un lieu privilégié de réalisation. À la génération actuelle l’Église apparaît souvent sous un visage d’institutionnalisation trop poussée et d’insuffisant accueil fraternel. L’explosion des communautés de base (je parle de celles qui sont authentiquement ecclésiales, non de celles qui sont politisées) est à comprendre comme la requête insistante d’une Église-communion où frères et sœurs se connaissent, s’aiment mutuellement, partagent avec simplicité leur expérience de foi, retrouvent ainsi le visage de la première communauté de Jérusalem. En un tel contexte se fait plus vive l’exigence pour toutes les communautés religieuses, y compris les apostoliques, d’être à la pointe de ce mouvement : par vocation et par nature, elles sont des « communautés de base », rendues capables de vivre publiquement et de signifier officiellement le mystère de l’Église-communion, appelées à être dans l’Église la permanence visible de l’Église primitive telle qu’elle apparaissait dans la fraîcheur de la grâce de Pâques et de Pentecôte : « Ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme,... entre eux tout était commun » (Ac 4,32).

D’autant plus que, par la fidélité à cet aspect de leur vocation, les communautés remplissent une part importante de leur mission de témoignage en plein monde. Dans l’actuel désarroi, marqué par la conflictualité et la discorde, un rôle prophétique revient aux communautés qui vivent en vérité la communion fraternelle : beaucoup plus que par des paroles, par leur vie même, elles deviennent une Bonne Nouvelle permanente qui annonce au monde la mission historique du Christ venu rendre frères tous les hommes dans l’unité de la communion trinitaire (cf. Jn 17,21). Ils sont répandus dans le monde entier, souvent ils constituent des communautés où ils se rencontrent comme frères et sœurs d’âges, de races, de nationalités, de langues et de cultures différents ; ils ne se sont pas mutuellement choisis, mais ils s’accueillent l’un l’autre au nom de Dieu et de la dignité personnelle de chacun ; ils travaillent ensemble au bonheur des autres, et collaborent au sein même de la pluralité des charismes et des activités : par là ils rendent témoignage au Christ sauveur, ils constituent comme une proclamation vivante et une célébration continue de « son » commandement d’amour, ils annoncent le projet divin d’une humanité nouvelle où s’aimer au-delà des différences est possible et source de vrai bonheur. En un mot, les religieux aujourd’hui reprennent conscience de la force révélatrice de leur fraternité : « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13,35), et tout autant de la force destructrice de tout scandale de division. Le document Religieux et promotion humaine dit magnifiquement : « Experts de communion, les religieux sont appelés à être, dans l’Église et dans le monde, des témoins et des artisans de ce ‘projet de communion’ qui se trouve au sommet de l’histoire de l’homme selon Dieu » (24).

Le courage de refonder des communautés d’authentique fraternité

S’ils veulent répondre aux exigences de cette très haute vocation de témoignage, les religieux doivent accepter l’effort de refonder en quelque sorte leurs communautés fraternelles. Immense problème, qu’on ne peut ici qu’effleurer. Pour un certain nombre d’entre eux, la vie communautaire en ces dernières années a été le lieu de désillusions, de souffrances et parfois de contestations. Il n’est pas difficile d’en établir le diagnostic : mécanisation monotone, poids de certaines mentalités et structures, résistance ou lenteur à accueillir les orientations du Concile et à lire les signes des temps, tensions et heurts sans arriver à une convergence, mode de gouvernement inadéquat passant de l’autoritarisme à l’abdication, manque de vigueur spirituelle... Aujourd’hui, grâce à Dieu, les communautés sont en train de dépasser leur crise : à travers une recherche sincère, souvent éprouvante mais efficace, elles sont en train de récupérer la véritable dimension de la communion fraternelle et d’en redécouvrir la beauté. Il faut intensifier cet effort courageux pour retrouver un style authentique d’échange interpersonnel, qui devienne source d’amitié et de joie intérieure. Parmi bien des aspects sur lesquels on pourrait insister, relevons les deux suivants.

La redécouverte de rapports profondément « humains » pourrait entraîner à voiler la nouveauté radicale de la fraternité religieuse. Comme l’Église elle-même, la communauté religieuse ne vient pas de la nature, elle n’est pas le fruit de la chair et du sang, elle ne surgit pas de ma propre décision ni de mon propre choix, ni ne résulte d’une convergence des sympathies ou des idées ; elle jaillit de la foi commune au Christ et d’une grâce particulière. Ce qui unit les membres, c’est une commune vocation reçue de Dieu dans la ligne de la vocation du fondateur, et une commune réponse d’adhésion à Dieu dans la commune participation à l’« expérience d’Esprit Saint » du fondateur : Dieu convoque et rassemble ces hommes, ces femmes, ils sont donnés l’un à l’autre comme frères ou sœurs en Jésus-Christ et appelés à s’aimer « divinement ». Une telle communauté met en jeu tout le mystère rédempteur, la force de la croix qui a détruit l’inimitié, la force de la résurrection qui a reconstitué la solidarité humaine dans le lien nouveau de l’Esprit d’amour [1] : les religieux sont toujours des « frères réconciliés ».

Conséquence de première importance : même si les affinités naturelles ont leur rôle dans la vie communautaire, elles ne sont pas au premier plan. L’élément décisif est la communion dans la foi vive au même idéal évangélique et le fait de recevoir de Dieu des frères à aimer. Les attitudes fraternelles sont donc clairement inspirées par des motivations surnaturelles et non par des recherches sélectives spontanées : accueil de l’autre tel qu’il est, acceptation sincère des différences et des limites, non-dramatisation des conflits, dépassement des antipathies et des froideurs, pardon toujours recommencé... Pour se regrouper spontanément entre amis, il n’est pas nécessaire d’entrer dans la vie religieuse ni même d’avoir la foi ! (cf. Mt 5,46).

Deuxième conséquence, et deuxième insistance opportune : la vie fraternelle est non seulement difficile, elle est impossible aux seules forces humaines ; on ne peut la vivre que dans la grâce et au contact de la Parole de Dieu qui illumine et nourrit. L’écoute et la méditation communautaire de cette Parole dans l’Esprit ne peuvent constituer un simple acte de dévotion : c’est un moment essentiel de la vie fraternelle. Parole et prière communautaire culminent dans l’Eucharistie. La célébration eucharistique est au centre de la vie communautaire pour la même raison qui la place au centre de la vie de l’Église, car elle est « source et sommet de toute l’évangélisation » (PO 5) : la communauté s’offre dans le Christ pour faire la volonté du Père dans la fidélité à sa propre vocation apostolique et, par son corps sacramentel, elle est reconstituée chaque fois comme son Corps mystique dans le don de l’Esprit recréateur [2]. Il est urgent d’accroître la vérité et la qualité des célébrations eucharistique dans les communautés. Il faut aussi entendre l’appel de Paul VI : « Il est normal que vos communautés soient visiblement réunies autour d’un oratoire » (ET 48, devenu d’ailleurs norme canonique, c.608) : il met en relief la réalité de foi de la communauté construite « dans le Christ rédempteur ». Le document « Dimension contemplative... » note de son côté que la communauté, réalité théologale, « est par sa nature le lieu où l’expérience de Dieu doit pouvoir se réaliser dans sa plénitude et se communiquer aux autres » (15 ; cf. 17). Serait-ce par hasard un idéal purement utopique ?

Le courage d’obéir en adultes et de travailler ensemble

Les religieux de vie apostolique non seulement vivent ensemble, mais surtout travaillent ensemble, dans les formes les plus variées d’engagement et d’accomplissement de leur mission propre. Reconnaissons que ce n’est pas facile. Mais aujourd’hui plus que jamais c’est indispensable.

Ici encore doit intervenir la perspective de la foi : aucune communauté ni aucun religieux ne peut s’envoyer soi-même ni se donner à soi-même sa mission : il la reçoit de Dieu à travers les médiations légitimes de l’Église et de l’institut. Le premier sujet de la mission propre d’un institut religieux est la communauté elle-même, à ses divers niveaux. Le religieux est donc envoyé en tant que membre d’une communauté concrète, appelé à travailler en communion de responsabilité.

Cette réalité dicte à chacun et à tous une série de comportements qui garantissent la réussite de l’œuvre commune. En tête vient l’obéissance. Divers instituts ont redonné à ce vœu la première place, même dans leurs constitutions. A la raison déjà fournie par saint Thomas d’Aquin et valable pour tous les instituts, à savoir que ce vœu contient les deux autres et couvre l’offrande des forces affectives et corporelles et des biens matériels [3], s’ajoute pour les instituts apostoliques une raison spécifique : des trois vœux, l’obéissance est celui qui est le plus étroitement lié à la mission et au mode communautaire de l’accomplir. Qui choisit librement d’obéir entre avec certitude dans le dessein d’amour et dans la volonté salvifique du Père (cf. PC 14), s’unissant au « oui » parfait de Jésus serviteur et au « oui » de Marie « servante du Seigneur » ; il participe en toute sécurité à la mission apostolique de l’Église, et en toute précision à la mission spécifique de son institut ; et il y participe en entrant volontiers dans l’articulation complexe des divers ministères grâce à laquelle son institut et sa communauté l’accomplissent nécessairement.

La libre et généreuse obéissance suscite donc le sens de la coresponsabilité, qui développe en chacun la conscience de devoir apporter sa propre contribution à la réussite d’une mission qui a été confiée à tous, et elle fait apprécier les avantages de l’intégration harmonieuse des valeurs personnelles, des compétences et des fonctions. L’effective participation et collaboration se manifeste dans le partage des intérêts et des projets apostoliques sur la base d’une communication réciproque en un dialogue serein et fraternel, et aussi bien dans le souci de travailler avec cohésion et désintéressement. La communauté est précisément le lieu de rencontre, d’harmonisation, d’exercice et de vérification des charismes et des projets personnels, en vue de la bonne réalisation du projet communautaire. Une sérieuse formation doit aider aujourd’hui les religieux et les religieuses à ne pas céder à la tentation de faire seulement œuvre personnelle, dans la recherche fort ambiguë du succès. L’individualisme est la peste de l’apostolat, non seulement parce qu’il en compromet les fruits, mais parce qu’il en trahit la nature, et trop de communautés aujourd’hui sont affligées de « fugues individualistes ». Bien sûr, ce fait n’est à confondre ni avec le respect de la diversité des appels ni avec la liberté dont ont besoin les vrais « charismatiques », toujours cependant dans le discernement, dans la vérification régulière et dans « la participation substantielle à la vie de la communauté » (MR 46).

Relevons la nécessité, en certains instituts, de fortifier dans leurs membres le sens de l’appartenance à leur propre institut, affaibli par divers facteurs : projection des membres des petites communautés dans les structures séculières et phénomène de la pluralité des appartenances qui atténue et rend fragile l’appartenance à la communauté religieuse, fédération de congrégations dont les forces vives très diminuées se regroupent en fonction d’un même service social ou d’une même spiritualité, et surtout caractère international de nombreux instituts dans lesquels se pose le gros problème de la légitime pluralité des cultures, qu’il faut absolument harmoniser avec l’unité spirituelle et structurelle de l’institut.

La conscience d’avoir à contribuer à la communion de l’Église et à la réconciliation et à la paix dans le monde

En vivant entre eux la communion fraternelle, les religieux de vie apostolique se disposent à remplir une autre de leurs tâches : celle de travailler à une plus grande communion dans l’Église et à une meilleure fraternité parmi tous les hommes. J’ai déjà relevé dans les réflexions précédentes l’importance de la valeur de témoignage de leur vie fraternelle, mais au témoignage silencieux ils ajoutent l’ouverture effective à toute l’Église et au monde dans les formes correspondant à leur charisme.

L’Église d’aujourd’hui, menacée par tant de courants de division et de désagrégation, a besoin d’être traversée par des forces vives d’unification. Par vocation les religieux actifs sont appelés à être l’une de ces forces, mieux encore à être des passionnés et des obsédés de la réconciliation et de la communion. Qu’ils s’emploient à être des facteurs d’union et de collaboration dans tous les milieux où ils vivent et travaillent : dans les paroisses, dans les diocèses, dans l’Église locale, dans l’Église universelle ; entre fidèles et évêques, entre prêtres et laïcs, entre jeunes et anciens, entre les paroisses, entre les mouvements (ne cèdent-ils pas parfois à la tentation de « conquérir » pour eux-mêmes quelque groupe « spécial » de fidèles ?), entre les Églises par la tâche œcuménique... Qu’ils soient des éducateurs du peuple au sens de la fidélité aux orientations officiellement données par les évêques et par le Pape.

Tout cela est dit avec une entière clarté dans deux pages du document « Religieux et promotion humaine », dans la partie où il présente, parmi les critères de discernement de leur action, la fidélité à l’ensemble de la communion ecclésiale. Les numéros 24-26 seraient à citer en entier. Il suffira de ces passages : « Par l’expérience quotidienne d’une communauté de vie, de prière et d’apostolat », les religieux deviennent « signes de communion fraternelle », de cette communion nouvelle que le Christ est venu instituer « dans le don de son Esprit » (24). « Du projet communautaire de vie dérive le style de présence et de participation qui doit les caractériser dans la mission de l’Église... Les religieux ont librement et consciemment choisi de ‘partager’ en tout leur mission de témoignage, de présence et d’activité apostolique, dans l’obéissance au projet commun et aux supérieurs de l’institut. Partage qui exprime fraternité et soutien, spécialement quand le mandat apostolique expose les religieux et les religieuses à des responsabilités plus grandes et plus exigeantes dans la sphère de contextes sociaux difficiles » (25). Autrement dit, leur communion fraternelle se répercute en mission de communion dans l’Église : ils sont constitués promoteurs de la communion ecclésiale garantie par l’évêque, surtout dans la diversité de situations où se trouvent leurs frères laïcs qui luttent pour la justice, la liberté et la paix.

Mais les religieux actifs sont en eux-mêmes aussi, par vocation, des promoteurs de la réconciliation et de la paix en plein monde, sans exclure la perspective de la persécution et du martyre. Ceux qui travaillent dans le champ missionnaire se trouvent aux avant-postes pour faire avancer le dialogue, souvent difficile, avec les autres religions et avec tous les artisans de justice et de paix.

Missionnaires par un service qualifié qui sache choisir les priorités opportunes

Membres vivants de l’Église mystère, communion et mission, les religieux de vie apostolique entrent pleinement dans ses « activités » d’évangélisation, de promotion de l’homme, d’exercice de la miséricorde. Par leur vie donnée ils proclament non seulement la réalité transcendante de Dieu et son dessein de communion, mais aussi son amour effectivement sauveur. Ce troisième contenu de leur mission est celui qui est le plus explicite et le plus visible, car les deux précédents confluent en quelque sorte vers lui. Évidemment de très gros problèmes se posent aux religieux actifs pour le renouvellement actuel et futur de leur mission. Je me contente d’en relever les urgences principales.

Retrouver le dynamisme charismatique des fondateurs

C’est un fait historique facilement repérable que les fondateurs, prophétiquement illuminés et inspirés, ont fait surgir des familles qui ont apporté dans l’Église un air de nouveauté et une réponse évangélique aux urgences du moment et du lieu. Et c’est un second fait historique que, en de nombreux cas, au fil du temps, l’institut a perdu de son dynamisme, s’est durci en des structures pesantes et en une mentalité formaliste, désormais content de soi, sans grande sensibilité aux changements socio-culturels ni aux besoins nouveaux surgis autour de lui. S’il n’y avait pas eu le Concile et sa requête explicite d’opérer « l’adaptation et le renouvellement » en se référant au fondateur, combien d’instituts n’auraient-ils pas continué leur chemin vers la mort lente !

Dans le passé, la vie religieuse est trop facilement apparue comme le lieu par excellence du « maintien », de la sécurité tranquille obtenue par la soumission plutôt passive à l’ensemble des traditions. Or, sans pour autant déprécier les structures toujours nécessaires, reconnaissons qu’un institut est constitué avant tout par ses membres vivants, lesquels, ensemble et avec ferveur, se prennent en mains et prennent en mains leur institut lui-même, dans l’écoute et sous l’impulsion de l’Esprit qui a inspiré le fondateur.

Nous sommes à une heure privilégiée pour retrouver la sainte liberté des commencements. Le moment est venu de se souvenir que la vie religieuse est l’un des « lieux de Pentecôte » de l’Église, étant comme un espace de liberté dynamique et de créativité charismatique. « Retrouver, disions-nous, un style de vie charismatique », c’est-à-dire d’une vie qui « réponde » à Dieu en se laissant inspirer par son Esprit créateur : les religieux ont à suivre sa voix aujourd’hui sans se laisser immobiliser par le durcissement ou par le volume de leurs propres structures ni par l’étroitesse de règlements trop détaillés. La vraie fidélité au fondateur consiste non pas à le copier extérieurement, mais à entrer aujourd’hui dans sa fidélité à l’Esprit Saint. Mutuae relationes le dit avec une entière clarté : « Tout charisme authentique apporte avec lui une certaine dose de vraie nouveauté dans la vie spirituelle de l’Église et de spéciale initiative dans l’action, qui peut parfois sembler incommode et soulever des difficultés » (12). Il indique ensuite neuf points de « vérification continuelle » pour que l’institut se maintienne fidèle à son « caractère charismatique », parmi lesquels figurent « l’attention intelligente aux circonstances et aux signes des temps, l’audace dans les initiatives » (12). D’autres expressions non moins significatives se trouvent aux numéros 19, 23f et 40, et je me demande si une telle insistance a bien été notée.

Il peut sembler naïf, contradictoire et peut-être même dérisoire de demander « une certaine diligence pastorale pour trouver de nouvelles expériences ecclésiales ingénieuses et courageuses » (MR 19) à des instituts que frappe le double drame de la diminution et du vieillissement de leurs membres. Les petites forces dont ils disposent apparaissent sans proportion avec les fameux dix défis et requêtes du monde contemporain. Il faut se rappeler alors que la vitalité et l’efficacité d’un institut ne sont pas d’abord un problème de nombre, mais de choix opportuns et de vigueur charismatique. C’est plus encore un problème de foi et de docilité pleine à l’Esprit rénovateur, qui intéresse surtout les supérieurs et ceux parmi les membres qui se révèlent davantage remplis de l’Esprit, plus sensibles aux urgences, humblement courageux (cf. MR 12, 14c, 40). Il est temps que les instituts cessent d’abandonner l’invention pastorale à la merci de quelques membres plutôt capricieux, amers ou dissidents, pour l’assumer comme un patrimoine de famille et comme une expression de fidélité envers le fondateur.

Un certain style d’action est requis aujourd’hui des religieux actifs, il pourrait être suggéré par les expressions suivantes : sens de l’exode, vigilance, vérification continue, jeunesse d’esprit, flexibilité, mobilité, promptitude à se réadapter, courage d’abandonner et de créer, acceptation sincère de la formation permanente, choix de supérieurs pas trop âgés, foi dans le Dieu capable de faire de grandes choses avec un « petit reste ».

Faire les choix les plus capables de servir et sauver l’homme d’aujourd’hui

Sensibles aux défis et aux requêtes de ceux auxquels ils sont envoyés, les instituts, chacun en pleine fidélité à son propre charisme et tous en pleine fidélité à leur propre identité religieuse, sont invités à faire des choix prioritaires. Trois secteurs du monde contemporain réclament leur présence d’une façon particulièrement urgente, même si cette présence est déjà en partie assurée depuis longtemps.

Le premier est le secteur des petits et des pauvres, des souffrants et des opprimés. Paul VI l’a indiqué avec vigueur dans Evangelica testificatio : « Plus pressante que jamais vous entendez monter, de leur détresse personnelle et de leur misère collective, ‘la clameur des pauvres’ » (17), et a pris soin de préciser cinq façons concrètes de pratiquer la pauvreté en réponse à cette situation de misère (18-19). Mutuae relationes insiste à son tour : « Notre temps exige des religieux d’une façon spéciale cette authenticité charismatique, vive et ingénieuse dans ses inventions, qui excelle nettement dans les fondateurs, pour qu’ils s’engagent plus diligemment et avec zèle dans le travail apostolique de l’Église parmi ceux qui constituent aujourd’hui en fait la majeure partie de l’humanité et sont les préférés du Seigneur : les petits et les pauvres » (23f ; cf. EN 30). Nous avons déjà noté comment « Religieux et promotion humaine » a envisagé le problème dans toute son ampleur. Il félicite ces religieux et religieuses qui, ayant fait « le choix pour les pauvres et pour la justice aujourd’hui », s’emploient « courageusement au soutien des humbles et à la défense des droits humains » et donnent une voix aux sans-voix (2-3, 4d). Il fournit ensuite des directives opportunes pour leur permettre de discerner comment se comporter dans les situations de violence ou d’éventuelle collaboration avec des groupes non-croyants, de façon à agir toujours en consacrés de Dieu et en envoyés de l’Église et à manifester le caractère radicalement évangélique de leur option. Ajoutons que dans ce choix prioritaire il ne faut pas oublier les « nouveaux pauvres » de la société du bien-être, les socialement insignifiants, en particulier le groupe croissant des personnes du « troisième âge », si souvent tristement abandonnées [4].

Ce service des petits et des pauvres est sans aucun doute une des réalités qui bouleversent le plus la vie des religieux apôtres aujourd’hui, les obligeant à repenser non seulement leurs options concrètes, mais le sens même de leur mission, leur style de vie personnelle et communautaire, la signification actuelle et la pratique effective du vœu de pauvreté, qui est toujours en quelque manière partage de la condition des pauvres.

Le deuxième secteur à privilégier est le secteur culturel, en fidélité d’ailleurs à une solide tradition de la vie religieuse apostolique. En cette période de transformation culturelle, religieux et religieuses, selon leur charisme propre, doivent être présents, à côté de laïcs et avec eux, aux lieux où s’élabore la culture de demain, soit pour apporter une contribution explicite d’artisans et de promoteurs de la culture de leur milieu, soit pour aider à la formation d’hommes et de femmes capables de dialoguer avec ceux qui influencent davantage la mentalité et le style de vie de leurs contemporains : éducateurs, parents, leaders, penseurs, savants, écrivains, artistes, artisans de la communication sociale... Leur rôle propre est de travailler à l’évangélisation de la culture naissante et de permettre que les multiples cultures existantes s’imprègnent des valeurs fondamentales, sans que soit porté atteinte ni à l’indépendance de l’Évangile ni à la légitime autonomie de la culture (cf. GS 57-59, 62). Ainsi contribueront-ils à préparer pour demain une civilisation centrée sur la dignité de la personne, à la lumière de la transcendance du mystère du Christ.

Deux champs plus précis où mettre en jeu d’urgentes initiatives méritent d’être signalés : celui des mass media, dont les chrétiens ne semblent pas encore avoir compris l’influence décisive sur la transformation de la culture (en particulier la télévision) ; et celui de la théologie : l’Église a un urgent besoin d’hommes et de femmes qui se vouent à la recherche, étudient les nombreux et graves problèmes-frontières, explorent des voies nouvelles pour dire la parole de salut dans le nouveau contexte culturel, selon des problématiques et avec un langage adaptés.

Au problème de la contribution culturelle des religieux et religieuses je rattache un autre problème préalable : les religieux eux-mêmes et les religieuses, à quelle culture appartiennent-ils personnellement ? Peut-on demander à un religieux européen, même s’il a accompli un effort méritoire d’inculturation, de contribuer à l’évolution culturelle du Pérou ou de l’Inde ?... Dans le passé, la vie religieuse, comme l’Église elle-même, était culturellement européenne, et elle demeurait telle quand l’institut franchissait les frontières pour s’installer dans des pays culturellement différents. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi : la non seulement légitime mais nécessaire pluralité des cultures à l’intérieur d’un institut répandu dans divers continents est reconnue au niveau théorique et même insérée désormais dans beaucoup de constitutions. Au niveau pratique il reste de gros problèmes : il faut « inventer » la façon d’être un authentique dominicain ou jésuite ou rédemptoriste avec la sensibilité socio-culturelle et ecclésiale du Brésil, du Zaïre ou de la Corée, de telle sorte que l’institut soit enrichi sans perdre son identité ni son unité charismatique et structurelle.

Un troisième secteur préférentiel est celui de la formation spirituelle ou de l’intériorisation dans le processus de personnalisation de la foi chrétienne. Il est peut-être plus difficile à bien identifier, mais il est fondamental dans la mission de l’Église au service du monde actuel ; et il faut le reconnaître, le cultiver et le renforcer comme l’une des meilleures sources d’espérance. Avec leurs frères et sœurs de vie contemplative, des religieux et religieuses de vie active doivent s’employer à offrir à qui en sent le besoin et le désir des lieux d’accueil et des conditions d’expérience pour retrouver Dieu, pour orienter sa propre vie, pour apprendre à prier, en un mot pour faire mûrir la dimension spirituelle et la foi de l’homme et de la femme de notre temps.

Vivre les vœux selon leur dimension socio-politique

C’est aux personnes concrètes que sont confiées ces diverses activités qui contribuent à construire le royaume de Dieu. Le service d’évangélisation et de promotion requiert des religieux et religieuses un type de charité surnaturelle qui assume et perfectionne (bien loin de les supprimer) leurs qualités et capacités naturelles. Avec raison les hommes d’aujourd’hui s’attendent à les trouver profondément « humains » comme l’était le Christ lui-même, « adultes » et « libérés », ayant une réelle consistance personnelle et une capacité développée de traiter et de dialoguer avec le prochain.

Entre ici en jeu la façon de comprendre et de vivre les importants engagements des vœux. Pauvreté, chasteté et obéissance ne sont pas à voir avant tout comme des renoncements (même si elles « comportent » des renoncements extrêmement réels), mais comme des manières profondément humaines et évangéliques d’user des biens matériels, de la sexualité et de la liberté. Elles acquièrent alors une portée politique : elles apportent une contribution typique à la réforme de la société et à l’évolution de la culture, et constituent à ce titre un élément important de l’accomplissement même de la mission apostolique [5]. À côté des laïcs, les religieux combattent les trois grands fléaux de la société d’aujourd’hui : l’injustice, l’érotisme exaspéré, le pouvoir oppresseur. Et la régulation plus radicale des trois grands instincts qu’ils ont assumée devient pour le milieu où ils vivent un signe et un instrument d’humanisation : c’est un fait que la virginité librement choisie éduque au sens du véritable amour, même conjugal ; la présence de pauvres volontaires éduque à l’usage équitable des biens, et celle d’obéissants volontaires à l’usage de la liberté dans le sens du service fraternel. Ces affirmations toutefois soulèvent une grave interrogation : dans quelle mesure le témoignage des vœux religieux est-il concrètement « lisible » ? En bien des cas, n’y a-t-il pas des révisions peut-être dramatiques à envisager ?

Adopter des comportements riches de capacité témoignante pour l’homme d’aujourd’hui

Un témoignage plus direct est possible à travers les comportements, les gestes quotidiens, la façon même de se présenter, qui accrochent et orientent vers un dialogue, parce qu’ils correspondent aux attentes secrètes ou explicites de l’homme moderne. Le Concile s’adressant aux prêtres et aux laïcs et Paul VI s’adressant à tous les évangélisateurs ont pris soin de leur recommander « ces vertus qui sont d’un grand prix auprès des hommes et qui font estimer le ministre du Christ, telles que la sincérité et loyauté, le souci constant de la justice, la fidélité à la parole donnée, la courtoisie dans le comportement, la modestie jointe à la charité dans la conversation », « la bonté, la force morale et la persévérance », « l’art de vivre et de collaborer en esprit fraternel et d’instaurer un dialogue » [6].

Deux de ces comportements surtout sont à mettre en relief : le sens de la gratuité et la joie. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement », a dit Jésus (Mt 10, 8). La gratuité, c’est-à-dire aimer et servir uniquement pour le bien du prochain, sans retour sur soi, sans chercher ni récompense ni compensation, sans lui faire payer de quelque façon notre service, c’est la fleur et le sommet de l’amour, à l’imitation de l’amour même de Dieu pour nous. Le monde moderne est très sensible à cette qualité de l’amour, précisément parce qu’il est un monde où tout s’achète et se paye, et il l’attend tellement des religieux que, s’il ne la trouve pas, il ira peut-être jusqu’à refuser leur service même. Aimer gratuitement, c’est renoncer à la puissance et au triomphalisme, ne pas chercher le prestige ni le succès, ne pas imposer ses propres convictions, respecter la liberté, les idées, le rythme de mon frère, stimuler sans jamais faire pression pour obtenir des conversions, ne pas être possessif, servir avec simplicité et humilité, sans chantage ni sous-entendu, en bon samaritain, rendre les autres protagonistes de leur développement, les promouvoir jusqu’à leur pleine responsabilité...

L’autre attitude aujourd’hui tant attendue est celle de la sérénité et de la paix, de la joie et de l’espérance. « Puisse le monde de notre temps... recevoir la Bonne Nouvelle non d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais de ministres de l’Évangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont les premiers reçu en eux la joie du Christ » (EN, finale).

Et pour tout synthétiser en une ultime réflexion : que les religieux de vie active soient porteurs de cette Bonne Nouvelle en sa plénitude ! Qu’ils n’oublient jamais, à travers le service le plus incarné qui soit, leur fonction de prophètes de l’éternel, de disciples de celui qui est venu pour que les hommes aient « la vie ». Puissent-ils par leur être, par leur style de vie, par leurs options radicales, par leur action quelle qu’elle soit, par leur parole chaque fois qu’elle sera possible et opportune, annoncer Jésus-Christ, Fils du Père, premier-né d’un grand nombre de frères, en qui nous-mêmes devenons fils de Dieu, qui a vaincu les limites de ce monde et la mort même, qui reviendra pour juger les vivants et les morts, et son règne n’aura pas de fin. La tentation encore persistante, pour beaucoup de religieux et religieuses aujourd’hui, est celle de s’en tenir aux exigences sociales et de ne plus oser proclamer la Parole qui sauve, c’est-à-dire qui ouvre à l’alliance avec Dieu et fait entrer dans la pâque de Jésus et dans sa vie éternelle. Aimer ses frères en vérité, c’est surtout ne pas les laisser privés de l’essentiel, et croire d’abord à leur désir obscur et à leur capacité de l’accueillir.

Conclusion : se laisser interpeller

On ne peut clore ces constatations et réflexions sur le renouvellement de la mission des religieux et religieuses de vie active sans se tourner, au moins brièvement, vers le phénomène des nouvelles formes de vie consacrée surgies depuis une vingtaine d’années, particulièrement en Europe, non certes « contre » la vie consacrée traditionnelle et canonique, mais nettement « à côté », selon des critères entièrement nouveaux. Ce phénomène, dans lequel on ne peut pas ne pas reconnaître la présence de l’Esprit, mérite grande attention : tandis qu’entre 1970 et 1980 plus de cent mille religieux et religieuses ont abandonné la vie consacrée et leurs instituts, quelques milliers au moins de baptisés, jeunes et adultes, trouvant inadaptée la condition religieuse traditionnelle, ont fait surgir des communautés évangéliques nouvelles et des façons nouvelles de répondre à l’idéal de la vie « à la suite du Christ ».

Certaines s’inspirent des formes de la vie monastique et contemplative, parfois de celles de l’Orient : Communauté de Bose en Italie (1968), Communauté de la Théophanie dans le Midi de la France (1972), Fraternité œcuménique de Romainmôtier en Suisse (1973), Fraternité de Jérusalem à Paris (1975)... Mais d’autres présentent un net caractère de service aux pauvres et aux marginaux : Association Jean XXIII de Rimini (1964), Simon Community de Londres (1970), Maison du thé de Würzburg (1972) ; ou bien elles se dédient au ministère de l’accueil : Nikola-Kommuniteit d’Utrecht (1964), Fraternité de Béthanie à Paris (1973), puis en divers pays ; ou encore à la communication sociale : The Light of Christ Community de Dublin (1976), Post Green Community en Angleterre (1976)... [7].

Beaucoup sont œcuméniques, la plupart sont ouvertes à la fois à des laïcs, à des prêtres, à des couples ou à des familles, le modèle « clérical » étant nettement écarté. Les membres vivent entre eux en un rapport d’égalité, toutes les décisions sont prises en commun. Célibat et vie conjugale sont considérés comme d’égale valeur. On refuse toute richesse collective, pour vivre au service des pauvres dans une présence simple et très souple. La prière est régulière et intense. L’annonce publique de Jésus-Christ apparaît comme une chose naturelle. L’engagement pour toute la vie n’est pas exclu, mais il demeure à l’horizon, chacun suivant son propre rythme.

Nouveauté donc, encore en recherche et en évolution, mais qui interpelle les religieux dans leur renouvellement, en attirant leur attention sur les valeurs évangéliques auxquelles probablement les chrétiens d’aujourd’hui sont le plus sensibles.

De son côté, la réalité de l’Opus Dei, son succès (1.200 prêtres, 75.000 laïcs, de 87 nationalités), l’intérêt et les réactions contrastées qu’elle suscite, peuvent stimuler la réflexion des religieux. Son originalité, exprimée jusque sur le plan juridique dans le statut de prélature personnelle, tient au fait qu’il ne s’agit ici ni d’un institut religieux, ni d’un institut séculier, ni d’une forme nouvelle de vie consacrée, mais d’un groupement de prêtres et de laïcs en recherche explicite de sainteté et d’apostolat à partir de leur situation providentielle.

Tout ce jaillissement est une invitation faite aux religieux à discerner toujours mieux leur identité ecclésiale et à la vivre en plénitude.

Via della Pisana 1111
I-00163 ROMA, Italie

[1Cf. Ep 2,14-18 ; Jn 11,52 ; Rm 5,5.

[2« Quand nous serons nourris de son Corps et de son Sang et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ » (Troisième prière eucharistique). Il s’en faut encore pour que soit appliquée dans les communautés l’admirable doctrine eucharistique de Presbyterorum ordinis, 5 !

[3Somme Théologique, IIa IIae, q. 186, a. 8. Notons que Presbyterorum ordinis, après avoir centré la spiritualité presbytérale sur la charité pastorale (14), invite les prêtres à l’alimenter par les vertus de l’obéissance (15), de la chasteté dans le célibat (16) et d’une certaine pauvreté volontaire (17).

[4Cf. l’appel lancé par Paul VI dans la Lettre apostolique Octogesima adveniens (14 mai 1971) en faveur des victimes des changements sociaux, en particulier dans les grandes villes (10-11, 15-16).

[5Comme l’affirme Paul VI dans Evangelica testificatio, 69. Dans son petit livre si stimulant Un temps pour les ordres religieux ? (Paris, Cerf, 1981), le théologien allemand Johann Baptist Metz a fortement souligné la double dimension « mystique et politique » des vœux : la suite authentique du Christ ne peut être réduite à la seule intériorité ni à une pratique morale individuelle (cf. 34-35, 40-42, 55-56).

[6Optatam totius, 11 a ; Presbyterorum ordinis, finale ; Apostolicam actuositatem, 4, 29 ; cf. Paul VI, Evangelii nuntiandi, 74.

[7Pour ce qui concerne la France, cf. le beau livre de Monique Hébrard, Les nouveaux disciples. Voyage à travers les communautés charismatiques, Paris, Le Centurion, 1979.

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