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Religieux, qui es-tu ?

Jean Gonsette, s.j.

N°1997-2 Mars 1997

| P. 103-111 |

Le titre de ce témoignage aurait pu être : « Religieux et Laïcs en communion d’Église ». C’est en effet ce qui ressort de la belle et droite réflexion proposée par le P. Gonsette. Bien des éléments de la récente Exhortation apostolique (que l’auteur ne connaissait pas au moment de la rédaction) sont anticipés dans ce récit concret d’une vie religieuse toute à la joie de se reconnaître en Église.

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Ces lignes sont le modeste témoignage d’une réflexion théologique sur des expériences vécues. Elles voudraient, à la lumière de la complémentarité ecclésiale des laïcs et des religieux, contribuer à mieux les distinguer pour mieux les unir.

Religieux, qui es-tu ?

La question se pose aujourd’hui avec plus d’insistance que jamais. Naguère, religieux et religieuses faisaient partie d’un paysage familier. Sans trop approfondir ce qui entraînait au couvent ces garçons et ces filles, on acceptait leur existence comme allant de soi, d’autant plus facilement que la plupart remplissaient des fonctions d’utilité publique qu’on était trop heureux de les voir assumer : éducation des enfants, soins des malades et des handicapés, accueil des orphelins et des vieillards, apostolat dans les missions lointaines ; on les repérait par leur vêtement, on les situait par leur habitat ; ces signes extérieurs suffisaient à les classer sans qu’on éprouve le besoin d’élucider davantage leur vocation profonde. Tout au plus témoignait-on parfois d’un étonnement apitoyé quand le garçon semblait promis à une brillante carrière ou que la fille était jolie, « comme si, quand on n’est pas laide, ironisait Georges Brassens, on n’a pas le droit d’épouser Dieu ! »

Aujourd’hui tout ce décor traditionnel s’effrite : religieux et religieuses s’habillent comme tout le monde, travaillent comme ouvriers, se syndiquent et se mutualisent, habitent des maisons de type familial, partagent avec des laïcs mêmes occupations et mêmes préoccupations.

D’où la nécessité d’aller à l’essentiel de la vie religieuse et à son articulation avec le laïcat au sein de l’unique Église.

Il faut d’abord écarter un préjugé ancien et tenace qui consiste à identifier l’appel à la vie religieuse comme le seul appel à la vie parfaite alors que le chrétien laïc ne serait appelé qu’à une perfection moindre. Rien n’est plus faux. La parole du Christ : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » s’adresse à tous sans distinction. Depuis saint Pierre (1 P 1,16) l’Église ne s’est jamais fait faute de le redire : « Que les Pasteurs fassent comprendre aux fidèles que la sainteté n’est pas un privilège accordé à quelques-uns et refusé aux autres, mais la commune destinée et la commune obligation de tous » (Pie XI, Rerum omnium 26/01/23).« Dans n’importe quelle condition et n’importe quel état de vie, tous peuvent et doivent imiter l’exemplaire parfait de toute sainteté que Dieu a présenté aux hommes en la personne de Notre Seigneur et, avec l’aide de Dieu, ils peuvent et doivent parvenir au plus haut sommet de la perfection chrétienne » (Pie XI, Casti connubii 31/12/30).

Vatican II y insistait encore : « Il est bien évident que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur forme de vie. Chacun doit inlassablement avancer selon ses propres ressources, dons et responsabilités, par la voie d’une foi vivante, génératrice d’espérance et ouvrière de charité » (Lumen Gentium 5, 40-41).

Il n’y a pas d’échappatoire. Dans l’intention divine, il n’existe pas de chrétien d’élite ou de chrétien moyen. La vie laïque n’est pas une résignation à la médiocrité et la vie religieuse n’a pas à se prévaloir du monopole de la ferveur. Cette exigence n’a pas à nous affoler ni à nous désespérer. On ne demande à personne d’atteindre cette perfection du jour au lendemain mais d’y tendre au jour le jour. On ne demande à personne de s’y employer par ses propres forces mais par la seule force de l’Esprit Saint, que le Père céleste donne à tous ceux qui le demandent (Lc 11,13). L’oubli de cette vérité primordiale peut être désastreux : d’une part le laïc risque de piétiner et de rester à la traîne en s’imaginant que la perfection ne le concerne que de très loin ; d’autre part, le religieux risque de tourner en rond dans les observances d’une « règle » particulière en s’imaginant que sa perfection est quelque chose de surajouté à la perfection commune.

S’il y a dans l’Église plusieurs états de vie, il ne peut y avoir qu’un seul état d’esprit : « Un seul Corps et un seul Esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance » (Ep 4,4).

Le religieux est donc avant tout un chrétien et sa perfection est celle de tout chrétien, ni plus ni moins. Il n’a pas à chercher au-delà, dans un code particulier qui lui assurerait en quelque sorte un surplus de perfection. Comme pour tout chrétien son modèle unique est une Personne, le Christ, un visage et non une idéologie. Et le cœur de son message il le résume dans son double et unique précepte d’aimer son Père comme lui l’aime, et les enfants du Père comme lui les a aimés (Jn 15,9-13).

Mais loin des matérialismes réducteurs organisant le royaume de la terre comme si l’ici-bas seul comptait, loin des idéalismes éthérés, niant la valeur de ce monde pour s’évader dans l’absolu comme si seul comptait l’au-delà, toute la vie et l’œuvre de Jésus consiste dans l’assomption de la nature humaine pour l’unir irrévocablement à la nature divine. La rédemption est déjà en cours dans le Verbe qui s’incarne, l’Incarnation est toujours en œuvre dans l’immolé qui ressuscite. Mais la phase d’incarnation atteste que pour sauver le monde il faut s’y insérer et l’assumer, la phase de passion glorieuse atteste que cette assomption et cette insertion ne peuvent s’accomplir qu’en Dieu. Dès lors « la loi fondamentale de l’économie chrétienne c’est que le même Dieu est à la fois Créateur et Sauveur, Seigneur et de l’histoire humaine et de l’histoire du salut » (Gaudium et Spes 43-2).

Toute vie chrétienne a donc elle aussi deux aspects indissociables : c’est vers Dieu qu’elle se dirige mais à travers le monde, vers le Dieu Créateur et Rédempteur mais à travers la création déchue. Dans l’Église, corps du Christ, deux états de vie perpétuent cet unique état d’esprit ; deux états de vie dont la fonction ecclésiale est de mieux manifester par leur complémentarité que le pèlerinage chrétien est une marche terrestre qui a un sens céleste.

Un état de vie, c’est une structuration stable de l’existence. Très concrètement, tout homme, pour se construire lui-même en construisant le monde, articule son existence autour de trois axes essentiels :

  • la profession, en quoi il investit son savoir,
  • la fortune, symbole et matérialisation de son pouvoir,
  • l’état civil, conjugal, familial, associatif, qui définit son mode d’appartenance à la communauté.

Ces trois axes d’ailleurs se regroupent, s’entrecroisent et, idéalement, s’amalgament dans l’unité vécue d’une existence. De tout temps ils ont servi à situer un individu dans la société. Quand Salomon, au livre de l’Ecclésiaste, fait son autocritique, c’est en s’y référant qu’il se présente : « Roi sur Jérusalem j’ai fait l’expérience de beaucoup de sagesse et de science, j’ai amassé de l’or et de l’argent, je me suis procuré une Dame et un harem » (1 et 2). En nos temps plus démocratiques ils forment l’ossature de tout formulaire ad hoc :

  • Avez-vous un emploi ?
  • Quels sont vos revenus ?
  • Êtes-vous célibataire, marié ou divorcé ?

Leur importance, aujourd’hui moins que jamais, ne peut être minimisée ; c’est autour d’eux que se concentre la problématique de notre époque et les grands remous qui l’agitent : les problèmes du travail et de l’emploi, de la répartition des biens culturels et économiques, de la mutation des relations conjugales, familiales et parentales, sont sur toute la planète des problèmes prioritaires et, littéralement, des questions de vie ou de mort de l’humanité.

L’état de vie laïque structure l’existence autour de la valeur de l’autonomie créatrice, c’est-à-dire de la mise en œuvre de toutes les énergies déposées dans les êtres par le Créateur.

Ce qu’il a de plus apparent et de plus significatif, c’est son engagement dans l’exploitation des ressources terrestres, l’utilisation des fruits de ce labeur, et les réalisations de l’amour charnel. Ce faisant, il est pour tous les chrétiens le signe de la nécessité de garder les pieds sur terre. Mais au cœur de ces activités, pour en éviter l’autosuffisance, doit fermenter le levain chrétien, dont les exigences ne sont pas moins crucifiantes ni sanctifiantes que dans tout autre état. On le voit bien à l’ahurissement des disciples quand Jésus les énonce. Quand il appelle à cette chasteté nouvelle qui se vit dans l’amour conjugal, un et indissoluble, eux répondent sans grande délicatesse : « si telle est la condition de l’homme envers la femme, il n’y a pas intérêt à se marier » (Mt 19,10).

Quand il déclare que « bienheureux sont les pauvres » et qu’il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu, eux « sont déconcertés et de plus en plus impressionnés », et se disent l’un à l’autre : « alors, qui peut être sauvé ? » (Mc 10,17-27).

Quand il affirme que le Fils de l’homme devra se faire obéissant jusqu’à la mort, ensuite de quoi il dit à tous : « si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix », Pierre se met à le réprimander, ce qui lui vaut la réplique cinglante : « Retire-toi, Satan, tes vues ne sont pas celles de Dieu » (Mc 6,33).

En conséquence le risque inhérent à cet état, c’est de céder à la pesanteur et de rester collé au sol. On ne s’étonnera même plus de ce que les politiciens mesurent la portée d’une loi à son impact électoral, que les banques vantent les intérêts de leurs dépositaires en taisant les investissements d’une moralité douteuse, que le mariage ne soit trop souvent qu’une association hédonique à la merci des fluctuations de l’instinct.

L’état de vie religieux, lui, structure l’existence autour de la valeur de la dépendance libératrice c’est-à-dire de la mise en relation de service des grandes énergies créées avec celui qui « les affranchit de tout caractère corrompu et corruptible pour leur donner part à la glorieuse liberté des enfants de Dieu » (Rm 8,21). Ce qu’il a de plus apparent et de plus significatif c’est son engagement dans l’orientation surnaturelle en matière de décisions à prendre, de moyens d’action à mettre en œuvre, de compagnons à s’adjoindre.

Alors que le laïc choisit une carrière, le religieux reçoit une mission ; alors que le laïc acquiert des biens, les possède et les gère en toute initiative, le religieux ne dispose que de ceux qu’on lui octroie ; alors que le laïc vit en communauté conjugale et parentale avec le partenaire qu’il a élu pour élever les enfants qu’il a voulus, le religieux vit en communauté fraternelle avec les compagnons qu’on lui donne pour aider ceux qu’on lui confie.

Mais l’état de vie religieuse ne peut entraîner une abdication de ce qui fait la valeur inaliénable de la créature et de la création ; le risque inhérent à cet état est de vivre en état d’apesanteur terrestre et d’étiolement humain.

Il se peut en effet que l’obéissance y soit vécue comme une démission infantile de ses responsabilités, une mécanique sécurisante pour esprits timorés ou simplement une recette pour une plus grande efficacité du groupe. Elle doit être une recherche active et communautaire pour discerner la volonté de Dieu. Il y faut souvent plus de courage que pour obéir à la cloche ou au règlement.

C’est pourquoi l’envoi en mission doit toujours être le fruit d’un dialogue franc et ouvert où, si le dernier mot appartient au supérieur, l’avant-dernier revient au subordonné. Le vœu d’obéissance ne peut être un abandon de sa personnalité intellectuelle, mais seulement un abandon de la suffisance du savoir.

La pauvreté du religieux a, elle aussi, ses pièges spécifiques : celui du parasitisme notamment ; ne possédant rien en propre mais bénéficiant d’une communauté-providence, il peut se comporter en enfant insouciant ou indolent, quels que soient par ailleurs l’austérité ou le confort de son mode de vie.

Aussi depuis saint Benoît jusqu’à nos jours a-t-on été soucieux de parer à ce double risque en insistant sur l’application au travail, manuel et/ou intellectuel et sur le respect des biens dévolus. Il ne s’agit pas tant de saine économie domestique encore que, selon l’adage « ce qui est géré en commun est communément négligé »- que d’appel à un comportement adulte qui, en toutes circonstances économiques, doit prendre en charge personnellement ses moyens d’existence (saint Benoît - Règle ch. 32 et 48). « Notre pauvreté d’aujourd’hui brille le plus parfaitement dans la pratique et l’esprit du travail, exécuté pour e royaume de Dieu et non pour un salaire » (31e Cong. gén. S.J. 1966 - décret 18 n°8).

Aussi voit-on dans les familles religieuses deux volontés qui apparemment se contredisent mais en réalité s’équilibrent : celle de tendre à la gratuité des prestations et des « ministères », en n’exigeant rien comme un dû, afin de se confier aussi radicalement que possible aux mains de la Providence, et celle d’assurer les moyens nécessaires et suffisants pour bien remplir les missions confiées par cette même Providence. Équilibre toujours précaire, toujours à réajuster comme en témoigne abondamment l’histoire, pour que le régime de pauvreté ne consiste pas en un transfert des tracas de la propriété individuelle à l’insouciance de la propriété collective.

Le vœu de pauvreté ne peut être l’abandon de sa responsabilité économique mais seulement le signe du renoncement aux tentations du « pouvoir » dont les possessions matérielles, et singulièrement l’argent, sont l’instrument et le symbole.

La chasteté du religieux a, elle aussi, ses risques spécifiques ; il s’agit de tout autre chose que de ne pas commettre de fautes dans le domaine sexuel ; cela c’est la chasteté générique requise de tous. Le risque, ici encore, est de déshumanisation par assèchement du cœur. Vivant au milieu de « frères » ou de « sœurs » que l’on n’a pas choisis, on peut vivre comme autant de monades leibniziennes « sans portes ni fenêtres », les yeux baissés et la bouche close, cohabitant grâce à « l’harmonie préétablie » de la règle et du coutumier. La communauté devient une sorte de pension de famille où chacun trouve ses avantages et où, la politesse aidant, les heurts sont réduits au minimum.

Mais le support mutuel ne suffit pas. Le religieux ne peut vivre sans affection ni chaleur humaine. Jésus lui-même avait un disciple « bien-aimé » et « aimait Marthe et sa sœur Marie et leur frère Lazare » (Jn 11,5). À son exemple, les religieux accueillent les amitiés qu’au-dedans et au-dehors Dieu met sur leur route, à condition qu’elles les aident à être de meilleurs religieux, comme la leur aide les laïcs à être de meilleurs époux et de meilleurs parents.

Le vœu de chasteté ne signifie pas le renoncement à toute affection humaine mais seulement l’engagement à un amour radicalement universel ; il inclut par conséquent le refus de l’appartenance sexuelle, et de ce fait exclusive, à une seule personne et à celles qui en sont issues.

La pierre de touche de l’obéissance, de la pauvreté et de la chasteté du religieux est sa « disponibilité », sa remise à la disposition du représentant de Dieu

  • de soi-même pour la mission,
  • des outils donnés pour l’accomplir,
  • et de son environnement communautaire ; elle ne signifie aucune « désaffection » mais la volonté de refuser tout attachement qui serait une attache.

Laïcs et religieux sont donc appelés à partager un même état d’esprit, un même élan vital qui n’est autre que le dynamisme de l’Esprit Saint les portant vers la perfection de l’amour sans limites, mais ils s’y emploient dans un double état de vie, une double structure ecclésiale. L’état de vie laïque témoigne de l’indispensable enracinement terrestre de la plante chrétienne ; l’état de vie religieuse témoigne de la non moins indispensable efflorescence de cette plante au soleil de la Jérusalem céleste.

Entre eux, comme des racines aux feuilles, circule la même sève de charité pour produire le même fruit de sainteté. Tous deux se prêtent un mutuel appui : le premier rappelant au second que l’oubli des conditionnements terrestres conduit au péché d’angélisme (et qui veut faire l’ange fait la bête !) ; le second rappelant au premier que l’oubli des perspectives célestes conduit à l’enlisement dans la mondanité pécheresse.

Comme l’écrivait L. Halkin : « Il y a une affirmation laïque qui est que l’absolu n’absorbe pas le relatif jusqu’à le volatiliser, que la référence à la cause première n’abolisse pas la réalité des causes secondes [1]. »

Et, inversement, il y a une affirmation religieuse qui est que le « relatif » n’a précisément de sens que dans sa « relation » à l’Absolu, que les réalités finies ne s’épanouissent que dans la paternité de Dieu.

Ainsi aucune vocation, laïque ou religieuse, n’est d’abord pour soi mais pour le service du corps du Christ, qui grandit grâce à une diversité de dons qui finalement fusionneront dans l’amour (1 Co 12 et 13 ; Ép 4).

Comparant la mission des laïcs et des religieux, Vatican II nous dit ; d’une part :

les fidèles doivent reconnaître la nature profonde de toute la création, sa valeur et sa finalité qui est la gloire de Dieu. Dans l’accomplissement universel de ce devoir, les laïcs ont la première place. Par leur compétence dans les disciplines profanes et par leurs activités, qu’ils s’appliquent de toutes leurs forces à obtenir que les valeurs de la création soient cultivées selon les fins du Créateur et à la lumière de son Verbe. En agissant ainsi ils imprégneront de valeur morale la culture et les œuvres humaines » (Lumen Gentium n° 36).

D’autre part :

le peuple de Dieu n’a pas ici-bas de demeure permanente, il est en quête de la cité future. Or l’état religieux, qui assure aux siens une liberté plus grande à l’égard des charges terrestres, manifeste aussi davantage les biens célestes déjà présents en ce temps ; il atteste l’existence d’une vie nouvelle et éternelle acquise par la rédemption du Christ ; il annonce enfin la résurrection à venir et le gloire du royaume des cieux. Il fait voir d’une manière particulière comment le règne de Dieu est élevé au dessus de toutes choses terrestres et des nécessités les plus grandes » (ibid n° 44).

Jean-Paul II écrivait : « Si toute la vie de l’Église a deux dimensions, l’une verticale, l’autre horizontale, les ordres religieux doivent tenir compte avant tout de la dimension verticale » (aux supérieurs généraux, nov. 1978).

Il ne s’agit donc pas de dichotomie ni de séparation. D’une part, les laïcs n’ont pas toute la place, mais la première, dans la mise en mouvement vers Dieu des valeurs créées ; d’autre part, c’est d’une manière particulière, mais non exclusive, que les religieux annoncent le terme de ce mouvement.

Concrètement, dès lors, ce n’est pas par un cloisonnement de leurs activités qu’il faut distinguer laïcs et religieux ; cela reviendrait à dissocier leur témoignage, à juxtaposer au lieu d’intégrer. Il importe au contraire qu’ils se rencontrent dans les mêmes activités, qu’ils s’attellent aux mêmes travaux pour présenter en osmose leur double témoignage.

Il ne s’agit pas non plus, il faut le répéter, d’une quelconque supériorité de l’un sur l’autre : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis. » Le choix d’un état de vie n’est aucunement le choix entre le meilleur et le moins bon. J’ai souvent entendu des propos émouvants et ambigus, du genre de : « c’est parce que j’ai compris que le Christ devait être tout pour moi que je suis entré en religion », ou, à l’inverse : « si je croyais que le Christ est vraiment l’absolu de ma vie, je me ferais religieux ». Certes, sous la maladresse de ces formulations peut se trouver parfois un authentique appel. Mais ce n’est qu’en fonction d’un « appel » particulier du Christ que l’on répond à une « vocation » particulière. Alors l’état de vie qu’il me propose sera le meilleur « pour moi ». Ce serait faire injure à Dieu de s’imaginer qu’il puisse appeler à une forme de vie moins bonne. Des vocations à la vie religieuse se sont parfois perdues parce que d’aucuns, l’envisageant de façon idéale et abstraite, s’en trouvaient indignes - et qui ne l’est pas ? - D’autres ont parfois été vécues dans la détresse parce qu’assumées comme le résultat d’une déduction logique et non d’un appel personnel.

Il s’agit entre les deux états de vie de complémentarité. La distinction des points de vue est une richesse, la divergence des regards un appauvrissement. La vue binoculaire confère seule à la carte du monde son relief et son horizon.

Conclusion

 Religieux, qui es-tu ?

 Un membre d’équipage :

  • chrétien comme les laïcs, sans autre prétention que de parvenir ensemble au port du salut, en demandant que « le Seigneur très bon transfigure en amour du ciel l’amour que nous portons au monde » (2e oraison du vendredi dans l’octave de Pâques) ;
  • chrétien pour les laïcs, préposé à la vigie et au radar pour les aider à s’orienter vers les deux nouveaux et la terre nouvelle dont parle l’Apocalypse ;
  • chrétien avec les laïcs, préposés, eux, aux machines et à la cargaison, propulsant et lestant le bâtiment, pour que là-haut dans la mâture je ne perde pas l’équilibre.

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[1Revue nouvelle, juin 1965, 569.

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