Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Rencontre avec Paul Lejeune

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2020-3 Juillet 2020

| P. 3-10 |

Rencontre

Connaissez-vous les Marquises ? Les moins de 10.000 habitants de ces îles d’origine volcanique se sont organisés, grâce aux missionnaires français, en communautés chrétiennes très vivantes, qui ont largement soutenu l’éducation des jeunes et des femmes. Un missionnaire belge, père des Sacrés-Cœurs, curé de la cathédrale Notre-Dame de Taiohae, nous fait entendre leur voix.

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Vs Cs • Père Paul, vous appartenez à la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie (un nom suivi en latin, par « et de l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement de l’autel ») ; on vous appelle plus communément « Pères de Picpus ». Qu’est-ce qui a pu conduire un jeune belge à entrer dans une congrégation missionnaire française ?

P. Lejeune  Le chemin qui m’a conduit à entrer chez les Picpus est simple. J’ai fait le secondaire dans leur école qui était située à Suarlée, près de Namur. Ce temps d’études m’a permis de découvrir l’appel de Dieu à la vie religieuse et sacerdotale. La figure du P. Damien De Veuster, saint Damien aujourd’hui, membre éminent de la Congrégation, a attisé en moi le désir de la mission. La rencontre des prêtres qui enseignaient a provoqué en moi le questionnement du sens de la vie, une vie pour soi ou une vie pour les autres, une vie pour Dieu. J’ai trouvé là un cadre qui m’a donné à réfléchir et m’a permis de donner une réponse à cette question fondamentale.

Vs Cs • L’assistant social que vous étiez a reçu sa formation théologique à Bruxelles, à l’Institut d’Études théologiques dont vous avez connu les grandes années. Quel souvenir en gardez-vous ?

P. Lejeune  C’est vrai que cela remonte loin. Comme tout un chacun, je pense, j’y ai trouvé des cours très intéressants et d’autres qui m’intéressaient beaucoup moins. Le système d’études donnait beaucoup de liberté et en même temps requérait une grande rigueur dans la formation. Le travail personnel, la recherche personnelle, permettaient de développer les intérêts personnels. J’y ai beaucoup apprécié le fait que l’ensemble des cours soit centré sur la Bible. J’y ai beaucoup investi ; cela m’a permis d’acquérir une méthode de lecture de la Bible, une méthode de travail, qui m’est toujours très utile aujourd’hui. La diversité d’origines des étudiants et étudiantes favorisait les échanges.

Vs Cs • Plus tard, on vous retrouve au Congo, puis provincial de Belgique francophone, avant d’être à Rome supérieur de la Maison Générale et archiviste général de votre institut ; aujourd’hui, vous voilà aux Îles Marquises (plutôt qu’en maison de retraite) ; est-ce que la vocation missionnaire prend tant de formes ?

P. Lejeune  La vocation missionnaire prend toutes les formes de la mission. Même en étant archiviste général, je me suis senti « missionnaire ». Le service des Archives est un vrai service de la mission en ce qu’il permet de découvrir, de faire découvrir le service missionnaire à travers le monde, dans les différents lieux de la mission de la Congrégation et de l’Église. C’est évidemment autre chose que de se retrouver au Congo-Kinshasa au cœur de la forêt tropicale ou dans une ville mastodonte comme Kinshasa. Mais là aussi, au service de la population à l’intérieur du pays ou à Kinshasa dans l’accompagnement des jeunes confrères, c’est encore et toujours la même mission qui se déploie. Cette mission, c’est l’annonce du Christ ressuscité qui nous dit Dieu, qui au travers de sa vie livrée invite tout homme à se laisser « saisir » « éblouir » par Dieu. Tout travail est missionnaire dans la mesure où il nous met en relation avec l’homme et avec Dieu.

Vs Cs Vous voilà au service d’une chrétienté très peu connue et très vivante, où des laïcs engagés portent les communautés chrétiennes souvent privées d’Eucharisties ou d’autres sacrements par manque de prêtres. Comment s’organisent-ils ? Quelle place le prêtre y découvre-t-il ?

P. Lejeune  Jacques Brel, adopté par les Marquisiens, chante : « Gémir n’est pas de mise aux Marquises ». Et c’est vrai qu’elles sont belles, les Marquises, une nature sauvage et séduisante, loin du tourisme de masse, loin des plages au sable blanc... Aux Marquises, chaque île est un gros caillou. Nous vivons sur des gros cailloux ! Pour passer d’un village à l’autre, il faut passer les montagnes (600, 700, 1100 mètres). On démarre au niveau de la mer, on passe la montagne et on revient au niveau de la mer dans l’autre village !

Les îles Marquises comprennent 6 îles habitées de différentes grandeurs et dispersées dans l’Océan pacifique selon une diagonale de 400 km environ. Vingt-six paroisses assurent l’animation des communautés chrétiennes. Chaque paroisse est animée par un chef de prière, « Tumu Pure ». C’est l’originalité de l’organisation de l’animation chrétienne. Le Tumu Pure est un ou une « Ancien(ne) », reconnu(e) par la communauté paroissiale. C’est le Tumu Pure qui assure la prière dominicale selon le schéma bien connu des Assemblées dominicales en l’attente de prêtres. Il est institué Tumu Pure. Les évêques du diocèse ont fait le choix de ne pas ordonner au diaconat mais d’instituer des hommes ou des femmes qui sont « le curé » de la paroisse. Le Tumu Pure préside donc la prière mais aussi toute l’animation de la paroisse. Nous avons même dans le diocèse un Tumu Pure qui peut recevoir, canoniquement, le consentement des couples qui veulent se marier religieusement ! Chaque Tumu Pure est entouré d’un conseil et de différentes équipes : liturgie, sacrements, catéchèse, finances...

Le choix a été fait d’assurer la prière dans chaque communauté chrétienne. Tous les dimanches, à 8h00, chaque communauté se réunit pour la prière animée par le Tumu Pure ou pour l’Eucharistie quand le prêtre est là. La prière dominicale, la prière en semaine structurent, donnent forme à la communauté chrétienne et villageoise.

Le prêtre est le guide spirituel, l’animateur spirituel. Nous sommes quatre prêtres dans le diocèse dont l’évêque, Mgr Pascal. Cela veut dire que les prêtres tournent dans les paroisses pour assurer les sacrements mais aussi l’animation des conseils pastoraux de chaque paroisse. Personnellement, je trouve que le prêtre « reçoit » beaucoup dans cette manière d’être Église et il est appelé à donner beaucoup en retour. On s’évangélise mutuellement ; la communauté chrétienne évangélise le prêtre ; le prêtre évangélise la communauté chrétienne. Il y a une interaction et une interpellation mutuelle qui sont dynamisantes.

Vs Cs • En tant que territoire français, vous avez été soumis au même confinement que la métropole ; comment vos communautés l’ont-elles vécu ? Y a-t-il des enseignements durables à tirer de ce moment qui (espérons-le !) s’éloigne peu à peu ?

P. Lejeune  Le confinement a été vécu comme en Europe mais avec des accommodements locaux. C’est très dur ; les relations sociales sont fortes. L’alcool a été interdit car donnant lieu à des regroupements, la liberté de circulation a été strictement limitée, le couvre-feu instauré de 20h00 à 5h00. Ce confinement a été levé progressivement au fur et à mesure que les délais de contagion possible arrivaient à échéance. D’abord allégé le 21 avril, il a été levé partiellement le 12 mai, puis totalement le 19 ; on peut circuler partout ; les avions vont circuler à nouveau vers les îles mais pour seulement 10 destinations dont Nuku Hiva. Toutes les autres destinations ont été supprimées faute de moyens. Cela veut dire que les îles Gambier, premières îles évangélisées par mes confrères, ont perdu leur unique liaison hebdomadaire... Ces îles sont à plus de 4 heures d’avion de Papeete.

La catéchèse a été très affectée par l’arrêt des rencontres. Quand on a pu reprendre et comme il restait peu de temps jusqu’à la fin de l’année scolaire, on a alterné une semaine l’école primaire et l’autre semaine le secondaire. Tous les catéchètes ont été répartis dans de nouveaux groupes provisoires pour diminuer le nombre d’enfants. On a mis en place un programme centré sur les fêtes liturgiques de ces mois de mai et juin : Ascension, Pentecôte, Trinité, Saint-Sacrement, Sacré-Cœur de Jésus... La catéchèse paroissiale regroupe ici un peu plus de 200 enfants. La nouvelle année de catéchèse reprendra après le 15 août sur inscription obligatoire – cela, pour forcer les parents à s’impliquer dans cette démarche.

Lors du premier allègement du confinement, en avril, on a pu recevoir jusqu’à 50 personnes dans les grandes églises ou la moitié de la capacité dans les petites églises. Nous avons alors ciblé des groupes : catéchètes, tavini Komonio (visiteurs de malades), jeunes de la catéchèse et post-catéchèse, jeunes couples non mariés... On a chaque fois dépassé le nombre de 50 car, en plus, il y a ceux et celles qui venaient d’eux-mêmes. Le téléphone a fonctionné pour « appeler » toutes ces personnes. Cela nous a permis d’inviter des personnes qui s’étaient éloignées de l’Église. Il y a, là, une expérience d’invitation ciblée à retenir. Les personnes étaient très contentes quand on les appelait.

Vs Cs • Et vous-même, comment l’avez-vous vécu ?

P. Lejeune  Personnellement, cela m’a fait beaucoup réfléchir sur l’importance de privilégier le local, de remettre en question notre manière de vivre, de produire, qui ne cherche que le profit à outrance, sans plus tenir compte de l’Homme. Cette épidémie est, pour moi, révélatrice d’un essoufflement mondial, d’un empoisonnement global de la société. Le défi est de trouver ensemble un nouvel être ensemble qui permette à chacun de « vivre », de « respirer ». Le confinement a aussi recentré la vie sur la famille mise à mal par la société, la société de consommation. Ce défi de la famille, de la famille intergénérationelle comme elle se vit ici, est crucial pour nos îles et pour le monde entier. Dans la pastorale, le contact personnel, la convocation personnelle ou d’une famille est importante.

Dès le début du confinement, l’évêché a été fermé. Le personnel a été mis « en congé ». Il a repris le travail le 12 mai lors de l’allègement du confinement pour les îles et archipels. Je n’allais donc plus à l’évêché et je travaillais à partir du presbytère. Je me suis retrouvé beaucoup plus seul. Au début, j’ai célébré seul dans la cathédrale mais en communion avec les chrétiens de la paroisse et du diocèse, la radio diocésaine émettant dans tout le diocèse. Puis, peu à peu, des paroissiens sont revenus ; ils inscrivaient sur la justification de leur déplacement : « Messe à l’église ou à la paroisse » et on les laissait passer.

Vs Cs • Lisez-vous Vies consacrées ? Qu’y trouvez-vous ? Qu’aimeriez-vous y trouver ?

P. Lejeune  Ici, ne recevant par la revue, je ne puis donc pas la lire ! Quand j’avais l’occasion de la lire, je parcourais toujours et quasiment en premier lieu, les comptes-rendus des livres. Un bon compte-rendu est déjà une lecture d’un livre.

Durant le confinement, différents articles ont été écrits sur « la chance qui nous était donnée ». J’ai apprécié ces réflexions qui m’ont été envoyées ou que j’ai trouvées via internet. Je pense qu’une revue comme « Vies consacrées » doit promouvoir une nouvelle manière de vivre la vie religieuse, la manière d’être religieux dans notre monde. L’Église est invitée à se déconfiner, la vie religieuse également pour aller vers les « périphéries » ! L’encyclique « Laudato Si’ » n’est pas appelée à rester un beau texte, elle doit passer dans la vie. Mais là c’est un grand défi pour les familles marquisiennes d’abord, pour la société marquisienne et polynésienne et pour l’Église marquisienne.
Propos recueillis par Noëlle Hausman, s.c.m.

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