Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Sur la spiritualité

Michelina Tenace

N°2008-4 Octobre 2008

| P. 262-272 |

« Ce qu’il y a de plus concret dans la vie spirituelle, c’est l’amour ». Réfléchissant à ce que signifie une spiritualité, l’auteur rappelle que le premier des repères tient à l’humilité, puis elle médite sur le style de sagesse pratique que requiert notre engagement pour la transformation et le salut du monde.

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On ne parle pas assez de la sainteté comme de ce qui est propre à la bonne nouvelle de l’évangile. De quoi parle-t-on, le plus souvent ? Des spiritualités, grandes et petites. Il y a une sorte de malaise parmi les religieux, y compris les saints et saintes fondateurs et fondatrices, tiraillés entre la fidélité à leur œuvre et l’attraction qu’exerce les « grandes spiritualités ». Certes, dans la communion des saints, il y a une unique sainteté qui est la sainteté de Dieu. Mais la sainteté de chacun a toujours commencé par la voie royale de qui s’est fait tout proche du Christ, le Christ pauvre, humble, petit. Ainsi les saints ont-ils aimé se faire petits. Ne dit-on pas de Thérèse Martin, « la petite Thérèse », et de Charles de Foucauld, « le petit frère Charles » ? Le désir de saint François n’était-il pas de se faire tout petit, comme le Dieu tout petit dans la crèche de l’humanité ? Il faut alors se débarrasser des mesures mondaines de grandeur : le plus petit selon le monde sera le premier dans le Règne de Dieu – comme Jean Baptiste qu’on aimerait que le Seigneur déclare grand, alors qu’il dit que le plus petit, dans le nouveau Règne, est plus grand que Jean. Ainsi, nos mesures d’efficacité, de célébrité, de perfection formelle et de sainteté idéale sont parfois un empêchement à la réalisation de notre vocation à la sainteté.

D’abord que signifie être un spirituel ? « L’homme spirituel n’est autre chose qu’un chrétien excellent, qui par conséquent possède plus abondamment et plus profondément que les autres ce qui constitue l’homme chrétien, à savoir l’Esprit de Jésus-Christ » [1]. Les fondateurs, « grands » ou moins grands maîtres spirituels, ont d’abord été des chrétiens. Ce sont des modèles à imiter en ceci qu’ils ont laissé l’amour de Dieu être plus puissant dans leur vie que la puissance du péché, du mauvais caractère, des passions. Ils ne sont pas saints dans tous les aspects de leur vie. En réalité, ce n’est même pas sur leur sainteté que nous construisons notre vie, ce n’est pas à eux que nous donnons notre vie, ce n’est pas d’eux que nous attendons le salut, mais du Christ ressuscité qui nous a promis de nous faire participer à sa résurrection en portant humblement notre croix. Il est intéressant que chez certains auteurs du passé, par exemple saint Bonaventure, le terme de spiritualité s’applique à la qualité du corps ressuscité [2]. C’est en fait le sens de toute vie dans l’Esprit : vivre dès ici bas la réalité de la victoire sur la mort, vivre le mystère de notre transfiguration en fils de la résurrection.

Il faut être prudent face à l’excessif enthousiasme que suscitent les leaders charismatiques : la confiance aveugle envers les charismes des autres ne relève pas de la sainteté. Ce qui nous est demandé, c’est d’orienter notre vie et l’histoire vers la venue du Règne de Dieu qui a ses signes – « les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourd entendent » – qui disent que l’homme est remis debout, réhabilité dans sa vocation d’être en relation. Dans toute spiritualité, l’accent est mis sur la manifestation de la nouvelle créature : « la vie spirituelle recrée l’homme en tout ce qu’il est […] ; l’Esprit renouvelle l’homme dans toutes ses dimensions » [3]. Voilà ce qui compte, dirait saint Paul, être cette créature nouvelle qui glorifie Dieu en ayant retrouvé la vie. La nouveauté de la créature ressuscitée est donc bien la vraie mesure de grandeur.

Ce qui a faussé la compréhension de la spiritualité, c’est la confusion entre la désignation d’une manière de vivre l’évangile et la manière de concevoir l’existence ou de théoriser cette conception. Il y a une distinction à faire entre la spiritualité, comme vie dans l’Esprit qui ne peut être que le même et seul Esprit Saint de l’unique Jésus-Christ, et les spiritualités, applications particulières de l’unique spiritualité de l’évangile de l’Esprit et du Seigneur Jésus-Christ, opérées par des hommes « spirituels », dans des conditions historiques différentes. La spiritualité signifie ainsi l’incarnation de l’Esprit, la vie dans l’espace et dans le temps des hommes et de Dieu. D’où les deux aspects que tient ensemble toute spiritualité : l’Esprit éternel de Dieu, toujours le même, l’Esprit incarné dans l’homme, toujours nouveau. Continuité et nouveauté sont en quelque sorte l’antinomie vécue dans l’Esprit, sa tension, son défi.

L’évangile reste la norme pour tous les temps et pour tous les moments que vit un institut. Pour tous et pour chacun, le critère d’authenticité d’une vraie spiritualité se trouve bien dans cette capacité de témoigner de la résurrection selon la grâce de celui qui est mort et ressuscité pour nous.

Repères

Parmi les fruits de l’Esprit, l’humilité, un repère pour tous

L’humilité est la « mère, racine, nourrice, base et lieu de toutes les autres vertus », disait saint Jean Chrysostome [4]. Et saint Basile aussi affirmait que l’humilité jouit de la primauté dans le domaine du salut, comme l’orgueil dans le domaine du péché. Elle est un remède universel en faveur du salut, parce qu’elle nous fait « éviter tous les filets de l’ennemi déployés sur la terre » [5]. « Le diable peut imiter toutes les bonnes actions que nous paraissons faire, mais en fait d’amour et d’humilité, il est authentiquement vaincu » [6]. L’humilité est une composante tellement fondamentale dans la vie spirituelle que l’on ne saurait bien en parler, car on la confond avec son ombre, la mort de la personnalité, alors qu’elle est dans la vie spirituelle la source de vie divine. « Il en va de l’humilité comme du soleil. Nous ne saurions dire au vrai sa vertu et sa substance… nous en jugeons par ses différents effets et qualités » [7]. Plus encore que l’image du soleil, c’est la référence au Christ qui décèle le mystère de l’humilité car elle est la vertu qui imite le Christ [8].

La grandeur de l’humilité

Un auteur russe, philosophe, théologien et mystique, Vladimir Soloviev (1854-1900) dont la vie tendait vers la sainteté, aimait se considérer comme « le soubassement », « l’escabeau de la sagesse divine » [9]. Pour l’écrivain, philosophe, théologien, qui voulait être avant tout chrétien, il fallait que la notion de grandeur fût autre chose qu’une mesure, une quantité, une comparaison, selon des critères qui ne seraient pas ceux de l’évangile. La grandeur, c’est d’« être inspiré d’en haut, regarder la vie d’en haut », c’est-à-dire regarder la vie dans la perspective renversée de Celui qui nous regarde. Ainsi la grandeur, c’est la vocation à la sainteté réalisée. On peut tirer profit de ce qu’écrit Soloviev parlant d’un poète : « Il fut vraiment un grand homme et put regarder la vie d’en haut, parce que la vie l’avait fait monter […] Il est grand parce que s’étant élevé à de nouveaux degrés de hauteur morale, il ne prit pas avec lui, à cette hauteur, une négation orgueilleuse et vide, mais l’amour de tout ce qu’il avait surmonté » [10]. Notre auteur ajoute : « l’homme vraiment grand ne s’élève à la surhumanité » que « sur le cadavre des ennemis qu’il a tués, c’est-à-dire de ses propres passions personnelles » [11], car sans cette lutte contre les passions, nous ne sommes pas en mesure d’aimer en vérité et en fidélité.

L’humilité était déjà décrite ainsi par Grégoire de Nysse : une « descente vers les hauteurs » [12]. L’humble est grand car il est capable de laisser faire Dieu, de voir Dieu partout et en tout, il est riche de Dieu, il est grand, car il vit dans la conscience que Dieu est grand et le fait participer de sa grandeur. « L’humble marche dans la grandeur, vit dans les merveilles qui le dépassent » [13]. L’humble est un homme capable de reconnaître la grandeur de Dieu et des autres, de l’homme en général. L’humble est un homme optimiste et de bonne humeur. Humeur, humour, humilité : on peut réfléchir sur le lien entre ces termes. Voilà alors le secret : étant optimiste dans le réalisme, l’humble est un être capable d’aimer.

Humilité, kénose

Un des fondements de la spiritualité chrétienne est la kénose. Dieu, dit saint Paul dans l’Épître aux Philippiens, ou plutôt Dieu en Christ, s’est anéanti (ekenosen), vidé de lui-même, évidé. Ainsi, l’évangile nous suggère d’évoquer Dieu non dans le langage du plein, mais dans celui du vide. Le plein connote richesse, abondance, puissance. L’évidement exprime tout le mystère de l’amour. Dieu manifesta sa grandeur, sa transcendance envers l’homme dans un mouvement de dénuement. Ce n’est pas un Dieu trop plein, qui écraserait l’homme, mais un Dieu qui attend notre réponse d’amour.

Cette considération de la kénose de Dieu déplace les discours sur l’humilité du niveau psychologique au niveau théologique. L’humilité n’est pas une vertu comme une autre. Car aucune vertu ne s’impose, sauf l’humilité, qui nous oblige. De même que seul l’amour reste, alors que tous les autres dons disparaissent, l’humilité demeure d’autant plus que toutes les autres vertus sont actives. Là où est l’amour ne peut être le non-amour. Le non-amour a un nom : l’orgueil. L’orgueil se soigne, mais pas par l’humiliation, car les humiliations ne soignent pas l’orgueilleux de son orgueil. L’amour soigne et dépouille bien plus. L’humilité est alors la condition sine qua non de l’amour.

Humilité, virginité

Autrefois on se voilait la face quand on parlait de sexualité dans les couvents, aujourd’hui on se voile la face quand on entend quelqu’un parler de virginité… Y aurait-il un lien entre la difficulté de parler de la virginité et l’incapacité de valoriser l’humilité ? Commentant l’Annonciation, saint Bernard souligne que chez Marie, la mère de Dieu, la virginité est grande en raison de son humilité. Si nous voulions l’imiter, dit saint Bernard, c’est par l’humilité qu’il faudrait commencer :

« L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu à qui ? A une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph. Quelle est donc cette vierge si respectable qu’un ange la salue, si humble qu’elle est fiancée à un charpentier ? Bel alliage que celui de la virginité et de l’humilité. Elle ne plaît pas peu à Dieu, cette âme en qui l’humilité rehausse la virginité, et la virginité pare l’humilité. Mais de quelle vénération penseras-tu digne celle dont la fécondité exalte l’humilité, dont l’enfantement consacre la virginité ? Tu entends qu’elle est vierge, tu entends qu’elle est humble : si tu ne peux imiter la virginité qui fut humble, imite l’humilité qui fut vierge. Vertu louable que la virginité, mais l’humilité est plus nécessaire. La première est de conseil, la seconde est de précepte… La première est récompensée, la seconde exigée. Car enfin, tu peux être sauvé sans la virginité, tu ne peux l’être sans l’humilité… j’ose dire que sans humilité, même la virginité de Marie n’aurait pas plu… Dieu a regardé l’humilité de sa servante, plutôt que sa virginité. Et si elle a plu à cause de sa virginité, c’est pourtant à cause de son humilité qu’elle a conçu. D’où il ressort que c’est l’humilité qui a rendu agréable même sa virginité. Qu’en dis-tu toi, le vierge orgueilleux ? Marie oublie qu’elle est vierge pour ne se glorifier que de son humilité et toi, tu négliges l’humilité pour ne te flatter que de ta virginité… Si donc tu ne peux qu’admirer la virginité en Marie, applique-toi à imiter son humilité, et cela te suffit. Mais si tu es tout ensemble et vierge et humble, alors, qui que tu sois, tu es grand ».

Humilité et prière pour les pécheurs

Que signifie prier pour les pécheurs si on ne prie pas aussi pour ses propres péchés ? Prier cela signifie faire, nous, quelque chose en faveur des pécheurs. Pas seulement dire à Dieu de faire quelque chose pour eux. Mais c’est aussi demander à Dieu de nous faire faire ce que lui voudrait faire : que le péché ne nous domine pas. C’est possible si là où le péché a détruit, on reconstruit l’amour. Sanctifier le monde signifie bien cela : rendre Dieu présent, mettre l’Esprit là où il est refusé, pour que dans le monde il y ait plus d’amour et que le péché y domine moins. Prier pour les pécheurs, c’est œuvrer à sa propre sainteté. Ainsi, Marie la Mère de Dieu peut prier pour nous, elle qui est la Toute Sainte, la Panaghia comme disent nos frères orientaux. Ainsi, il serait intéressant de retrouver le lien de toute forme de sainteté avec la sainteté de Marie, car la sainteté nous fait entrer dans le mystère de la maternité ou paternité spirituelle, « pour le salut des pécheurs », pour l’engendrement de la nouvelle créature, pour la résurrection de l’homme d’aujourd’hui malade et mort. Le manque d’amour est grand, le manque de Dieu est immense, manque de Celui qui rend la vie si on ne l’en empêche pas.

Il y a ainsi un lien entre parler de Dieu comme « le Très-Bas » et en même temps « le Très-Haut » [14], de Dieu l’ami de l’homme, de la communion trinitaire comme fondement de toute vie humaine et l’urgence de se laisser toucher par la détresse de tout être humain : malheur dans des relations fragiles et fragilisantes, d’où procèdent l’incapacité de donner un sens à la vie, de croire à la valeur du sacrifice qu’exige l’amour, l’angoisse que procure tout échec, toute maladie et la peur terrible de la souffrance à laquelle on préfère la mort. Si les chrétiens ne témoignent pas de la résurrection, d’autres propositions prendront le pas et peu importera d’où elles viendront, pourvu qu’une espérance renaisse pour le corps, pour les relations, pour le sens de la vie et de la mort.

Style de vie dans la sagesse

La tradition de l’Église nous montre que les moines, les fondateurs d’ordres étaient des hommes et des femmes qui aimaient et cherchaient la Sagesse, mais sans s’arrêter aux concepts, sans se prendre pour des philosophes : leur aspiration était d’avoir cette « science qui devient amour » [15]. Cet aspect est fondamental pour comprendre la vie religieuse d’hier et d’aujourd’hui.

L’amour de la Sagesse

Dans son sens le plus profane, la sagesse, c’est un « savoir faire ». Est sage celui qui sait réparer une barque, qui sait faire cuire du poisson, qui sait soigner une blessure. Est sage celui qui sait comment vivre et faire vivre. Le peuple de Dieu est allé plus loin dans sa compréhension de la Sagesse : il sait que vivre ne dépend pas seulement d’un savoir-faire. La vie vient de Dieu. La Sagesse signifie donc prendre en considération Dieu dans sa vie. C’est pourquoi on trouve cette affirmation que le principe de la Sagesse, c’est la crainte de Dieu (Prov 2, 10), c’est à dire la reconnaissance du principe de la vie. La Sagesse pratique a chez le croyant un horizon religieux.

La culture grecque aussi a eu sa propre notion de la sagesse. La sagesse du « savoir faire » a besoin de cette sagesse qui consiste à « savoir penser », avoir des idées. Quand on a des idées, on a les solutions aux problèmes, car la pensée s’applique au réel et le transforme. C’est pourquoi dans la culture grecque, la philosophie est si importante, elle est amour (philo-) de la sagesse (-sophie) et depuis, les philosophes sont surtout des personnes qui ont des idées, quitte à les faire mettre en pratique par les autres ! Ce qui fait qu’on a associé souvent les philosophes et les poètes à des personnes qui aiment les idées mais sont peu pratiques, et surtout ne savent pas vivre.

Quand on n’est pas pratique, quand on ne sait pas vivre, on saisit mal que Dieu existe, on n’est pas un homme très religieux. C’est ce danger que le peuple de Dieu attribuait à l’homme « insensé » : car il faut être fou, insensé, non sage, pour dire « il n’y a pas de Dieu » (Ps 14,1). Dire « pas de Dieu », c’est comme dire « pas de vie ». A quoi sert une sagesse qui nie la vie ? Les idées peuvent donc tromper et nous tenir loin de la vraie vie ? Il en est ainsi, si nos spiritualités sont seulement des idées philosophiques. Il est facile de tomber dans ce piège, de réduire le christianisme à de belles idées, de réduire la Sagesse à une connaissance abstraite, de rendre la foi inutile, si elle ne fait pas faire l’expérience de la résurrection.

Le danger de tout attendre des idées vient de ce qu’on confond la science qui concerne les choses et la science qui concerne les personnes. La science des choses grandit si on a des idées, si on suit les règles, les lois. La science des personnes ne fonctionne pas de la même manière. On connaît une personne quand on l’aime, quand on a confiance en elle, quand on la laisse s’exprimer. « C’est pourquoi à proprement parler seule la personne est connaissable et seulement par une personne » [16]. L’amour est donc le principe de la connaissance, si bien que plus on aime, plus on connaît. Ce genre de « science » s’applique aux relations et en particulier à la foi qui ne grandit pas avec des idées, mais qui grandit au fur et à mesure que grandit l’amour.

C’est l’amour le principe de la foi, de la Sagesse, de la vie. Spirituelle est la personne qui porte l’Esprit d’amour, qui aime la vie, qui sait l’accueillir et la protéger, qui sait aimer. Le spirituel est toujours très concret, très pratique comme l’amour qui ne supporte pas l’abstraction. Nous voilà donc devant une extraordinaire vérité : ce qu’il y a de plus concret dans la vie spirituelle, c’est l’amour. Ne pas vivre dans l’amour, c’est vivre dans l’abstrait et l’impersonnel. Ne pas vivre dans l’amour, c’est s’éloigner de la vie, s’éloigner de Dieu. Sans amour, la vie disparaît et avec la vie, c’est le mystère qui disparaît. Quand le mystère disparaît, c’est ce qui est le plus concret qui disparaît, et non pas ce qui est plus abstrait. Le mystère contemplé a fait créer des œuvres d’art, a fait fonder des communautés, a donné des martyrs à Église, des missionnaires au monde, des cultures nouvelles.

Le mystère dans le christianisme est Amour qui prend chair, relation qui assume le mal dans le pardon, œuvre de foi personnelle et de communion à la sainteté de Église qui transfigure l’univers. Toute cette réflexion nous oriente sur des aspects très pratiques. « L’effort de l’homme pour une perfection individuelle, est un effort pour transfigurer la matière par l’orientation de son âme à Dieu […] L’homme spirituel est l’homme qui opère et permet la transformation du monde de la matière en monde ordonné à Dieu » [17].

Un nouveau style de vie

Finissons sur les derniers mots d’une conférence faite par Olivier Clément à l’Institut Pontifical Oriental. La spiritualité chrétienne doit affronter le défi du prochain millénaire et

« s’incarner dans un nouveau style de vie. Un style à la fois d’humilité et de fierté, d’ascèse et de fantaisie : le ‘gai savoir’ dans le Saint Esprit. Un style royal, mais sans oublier que le roi a toujours besoin d’un bouffon : tenter d’être chrétien dans le monde comme il va et comme il en ira exigera une certaine ‘folie’. Un style qui exigera la plus haute ascèse, car il faudra toute la force de l’esprit, au sens de la plus vive intelligence, pour que l’homme puisse avoir pouvoir sur son propre pouvoir. Un style qui exigera simultanément l’ardeur d’un chevalier de la vie, et aussi l’intuition et l’impertinence de l’artiste. Un style qui s’exprimera dans une rencontre renouvelée de l’homme et de la femme : ni subordination, ni même complémentarité, mais deux solitudes et deux plénitudes, deux manières de vivre le monde et de le faire exister, parfois, par grâce, dans un nouveau ‘cantique des Cantiques’. Un style où l’on ‘respire l’Esprit’, où l’on danse dans la non-mort puisque le Christ est ressuscité. Et puisque le Christ est ressuscité, puisque l’Esprit est répandu et secrètement embrasse tout, je me permettrai de reprendre pour conclure ce mot de Kazantzaki : ‘Chaque homme peut sauver le monde entier’ ».

[1Définition d’un auteur du XVIIe siècle cité par A. Solignac, art. « Spiritualité », in Dictionnaire de Spiritualité, XIV, Paris, Beauchesne, 1989, col. 1147.

[2A. Solignac, o.c., col. 1143 et 1146.

[3M. Dupuy, Spiritualité, o.c., 1989, col. 1161.

[4in Acta Apostolorum 30, PG 60, 225b.

[5Apophtegmes, Antoine 7, PG 65, 77b.

[6Vie de sainte Mélanie, 43, Sources Chrétiennes 90, 1962, p. 211.

[7Dorothée de Gaza, Instructions, II, 35 et 37, Sources Chrétiennes 92, 1963, p. 200 et 202.

[8S. Janecic, Imitazione di Cristo secondo Tihon Zadonskij, Trieste, 1962, p. 133.

[9S. Soloviev, Vie de Vladimir Soloviev par son neveu, traduction française, Paris, Éditions S.O.S, 1982, p. 425. Quelques pages plus loin, p. 440-441, l’auteur commente : « Pour accueillir la vérité, pour écouter la voix du monde spirituel, il faut reconnaître qu’on n’est qu’un piédestal du divin, il faut laisser le séraphin lui-même nous ouvrir les yeux, de son toucher léger, mais indolore. Ainsi l’âme sera l’instrument transparent où se reflète la Sophia lumineuse… Les rochers sous-marins fondent, sur lesquels se nichent les reptiles de l’égoïsme et de la prétention ». On peut lire aussi M. Tenace, La beauté unité spirituelle dans les écrits esthétiques de Vladimir Soloviev, Troyes, 1993.

[10V. Soloviev, Œuvres Complètes, IX, Bruxelles, 1966, 257. Cette citation de Soloviev se réfère à Mickiewicz, poète polonais qu’il admirait beaucoup.

[11V. Soloviev, Œuvres, IX, Bruxelles, 1966, 361 (sur « Lermontov »).

[12Grégoire de Nysse, Vita Moysis, PG 44, 416d.

[13Origène, Contra Celsum, VI, 15, GCS 2, p. 85.

[14Cf.. Le titre du livre de Christian Bobin, Le Très-Bas, Paris, 1992 qui voit en « François le serviteur et l’ami du Très-Bas », p. 37.

[15Saint Grégoire de Nysse, PG 44, 96C.

[16P. Florenskij, La colonne et le fondement de la vérité. Essai d’une théodicée orthodoxe en douze lettres, Lausanne 1975, V, Quatrième Lettre, p. 54. Voir T. Spidlik, L’Idée russe, une autre vision de l’homme, Troyes, 1994, dans le chapitre sur « La connaissance », pp. 97-108.

[17V. Soloviev, Les fondements spirituels de la vie, Casterman, Tournai-Paris, 1948, p. 110.

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