Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La récente assemblée mondiale des Supérieures générales

Benoît Carniaux, o.praem.

N°2010-3 Juillet 2010

| P. 219-222 |

Du 7 au 11 mai 2010, l’assemblée plénière de l’U.I.S.G. (Union internationale des Supérieures générales) a rassemblé, dans la Ville éternelle, 850 Supérieures générales venues du monde entier. Placé sous l’ombre tutélaire de saint Jean de la Croix et de l’expérience de déréliction exprimée dans son poème de la Source — « Je la connais, la source qui jaillit et se répand, mais c’est de nuit » —, la réflexion a porté sur les aspects mystiques et prophétiques de la vie religieuse.

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Du 7 au 11 mai 2010, l’assemblée plénière de l’U.I.S.G. (Union internationale des Supérieures générales) a rassemblé, dans la Ville éternelle, 850 Supérieures générales venues du monde entier. Placé sous l’ombre tutélaire de saint Jean de la Croix et de l’expérience de déréliction exprimée dans son poème de la Source – « Je la connais, la source qui jaillit et se répand, mais c’est de nuit » –, la réflexion a porté sur les aspects mystiques et prophétiques de la vie religieuse. Ce thème s’était imposé de lui-même à travers le retour des consultations préparatoires. Par une invitation toute biblique à laisser l’obéissance s’illuminer par un engagement confiant dans une pratique obéissante, Sœur Maureen Cusick, Religieuse de Notre-Dame de Sion, présidente, a ouvert les deux journées et demie d’approfondissement animées par des invités extérieurs.

Le Père Ciro Garcia, Carme déchaussé, a cherché à mettre en lumière les liens qui unissent mystique et prophétie dans un rapport de l’éternité à l’histoire qui implique une dynamique de maturation et de purification de la personne, par « l’altération » que provoque le surgissement de Dieu dans sa vie. Ainsi la consécration est-elle impensable en dehors de la mystique, et la mission ne peut-elle s’établir hors de l’imitation existentielle de la vie de Jésus à travers ses conseils évangéliques, mais aussi, son identité prophétique. L’enveloppement mutuel de la mystique et de la prophétie conduit à aborder les nouveaux aréopages de la mission en y inscrivant un style de vie particulier, plutôt qu’en les traitant comme champs d’action objectivés. Ce style de vie comporte une quadruple dimension mystique : l’intégration personnelle de la foi par l’écoute de la Parole doit retentir dans et par l’expérience concrète de la vie et engendrer ainsi le témoignage. Cette « personnalisation » de la foi permet dans la prophétie de créer la communion à partir de l’exil, « sortie de soi », et d’ainsi contribuer à un surcroît d’humanité pour tous, dans des petits signes qui toujours brillent plus par la charité qui les anime que par leur impact quantitatif. De là peut surgir l’espérance et la louange qui la nourrit.

Sœur Judette Gallares, Sœur du Cénacle, a poursuivi la réflexion en nous conduisant auprès de Lydie, femme convertie au christianisme (Ac 16), pour essayer de mieux comprendre l’existence de la mystique à travers le processus de conversion permanente. Tout commence et recommence toujours par l’expérience de l’obscurité, de la confusion, du manque. Celle-ci est comme le revers en creux du désir (mystique) que chacun est appelé à réveiller et qui ne peut s’exhausser qu’en consentant à la grâce de la conversion et à l’inspiration qui l’accompagne. Celles-ci ne pourront se déployer dans la personne que par le temps offert à la contemplation et à la prière, en vue d’une intégration personnelle qui devient réponse à une vocation. Cette réponse comporte une part « d’insu » : ce sont les autres qui qualifient quelqu’un de prophète. On ne saurait s’attribuer à soi-même un tel statut.

C’est pourtant à bon droit qu’à l’intérieur d’une tradition spirituelle aussi ancienne et variée que celle de la vie religieuse, une tonalité à dominante prophétique peut être repérée et reconnue comme structurante. Sœur Liliane Sweko, Sœur de Notre-Dame de Namur, a pu ainsi montrer comment bien des témoins inspirés prophétiquement par leur foi ont pu « illuminer les ténèbres » de leur monde et de leur temps. Dénonçant les injustices pour mieux annoncer le Juste, ces témoins ont dû renoncer à leur sécurité tout en dépassant leurs intuitions personnelles pour, en quelque sorte, « faire communauté ». Aujourd’hui, il revient aux congrégations de travailler le terreau humain des vocations reçues afin d’assurer les conditions d’accueil de cette grâce prophétique que le Seigneur continue de faire à son Église pour le monde : la formation humaine et spirituelle et le travail en réseaux, y compris pluriconvictionnels, sont plus que jamais d’actualité.

L’intervention du rabbin Arthur Green, intitulée « une théologie de l’empathie » a développé la vision universaliste et profondément anthropologique de la « kabbale néo-hassidique » (cette sorte de tradition orale des pieux du judaïsme) qui repose précisément sur le refus de tout anthropomorphisme pouvant enfermer l’Être divin dans des préjugés culturels. L’identité ne saurait être figée, mais au contraire se définit par ses relations avec les personnes et le monde, pour se déployer ainsi quasi à l’infini, dans un désir d’aimer tout homme et toutes choses à la lumière de l’Être divin qui embrasse l’univers et le temps.

Enfin, avec l’éloquence qu’on lui connaît, le P. Bruno Secondin, de l’Ordre des Carmes, a repris l’ensemble de la réflexion à partir de l’expérience du Prophète Jérémie. Intitulée « La branche d’amandier et la marmite qui bouillonne » (cf. Jr 1, 11-13), sa communication a invité, en temps de crise et d’écroulement de quelques grands repères ecclésiaux – vie religieuse y compris – à redécouvrir l’incandescence de l’expérience originelle, le temps de la fragilité mais aussi du bouillonnement des audaces propres aux « kairoi » (temps propices) de (re)fondation. La polysémie de la parole prophétique s’enracine dans l’expérience mystique, expérience intérieure de l’Autre qui « altère » sans cesse l’identité jusqu’en son cœur et nous pousse à cheminer avec les autres, dans l’Église et dans le monde. De ce point de vue, conclut le P. Bruno, les personnes consacrées et spécialement les religieuses, ont quelque chose de spécifique à offrir autour des scandales pédophiles dans l’Église, afin de dépasser les questions de stricte justice et d’entrer dans une forme d’empathie en quelque sorte « rédemptrice ».

Ces longues et denses journées de réflexion et de partage ont ensuite laissé la place à des discussions portant sur différents domaines d’actualité. Certes, les tourments actuels de l’Église y étaient présents, en ce compris la visite apostolique en cours aux U.S.A. auprès des congrégations religieuses, évoquée à de multiples reprises dans le registre du « vécu douloureux », à côté de la question toujours bien vive de la place et du ministère des femmes dans l’Église. Ces malaises latents n’ont cependant pas empêché un bel enthousiasme, encore manifesté par les rapports ou projets d’engagement de l’U.I.S.G. au niveau mondial.

Les relations concernant les projets en cours en partenariat avec des organismes de la Curie romaine ou d’autres instances parfois séculières laissent entrevoir un travail de fond, difficile mais ô combien nécessaire aujourd’hui, concernant en particulier la triade indissociable justice-paix-intégrité de la création, la lutte contre la traite des êtres humains, l’accompagnement de ceux qui sont touchés par le Sida – à l’extérieur comme à l’intérieur des instituts – et la présence des consacrés sur le réseau virtuel (internet). Le projet nouveau de solidarité avec le sud Soudan, en collaboration avec l’Union des Supérieurs Généraux, invite quant à lui à « embrasser l’imagination de Dieu ». Face aux catastrophes humanitaires et aux imaginaires socio-religieux qui parfois les engendrent, il ne faut certes pas recourir à moins ! Ce fut là comme une conclusion bien logique de cette session admirablement menée et organisée, dont les orientations finales, comme les conférences d’ailleurs, sont désormais disponibles sur le site de l’U.I.S.G. Enfin, un nouveau comité directeur (2010-2013) a été installé, avec Sœur Mary Lou Wirtz (Sœur franciscaine des Sœurs des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, USA) comme présidente.

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