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Le transfert de la grâce

Une approche théologique des Dialogues des Carmélites de Poulenc

Dominique Goblet, o.praem.

N°2011-3 Juillet 2011

| P. 192-201 |

On connaît sans doute ce Dialogue des Carmélites écrit par G. Bernanos d’après la nouvelle de G. von Le Fort (« La dernière à l’échafaud ») qu’inspirait le martyre des Carmélites de Compiègne, durant la Révolution française. L’opéra qu’en tira Francis Poulenc demeure un événement musical insurpassé en même temps que l’aboutissement d’un itinéraire spirituel devenu quête théologique : « Que se cache-t-il derrière la peur de la mort, le transfert de la grâce, le martyre, la Communion des saints » ?

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Depuis Robert le Diable de Giacomo Meyerbeer, l’apparition sur une scène lyrique de religieuses – ou bien en l’occurrence de leurs fantômes – se traduit généralement en termes de mélodrame ou d’hystérie. Les Dialogues des Carmélites, de Poulenc, s’opposent à Suor Angelica, volet central du Triptyque de Puccini, dont l’action se passe dans un couvent, en ne faisant appel qu’à des voix féminines. L œuvre de Poulenc est la seule qui s’appuie sur une vision authentique de la vie religieuse et qui, sur un texte d’une austérité redoutable, a pourtant réussi à constituer un véritable opéra sans jamais fausser l’optique du livret. Elle approfondit au contraire le contenu spirituel du texte de Bernanos tout en lui apportant l’enveloppe charnelle qui peut-être lui faisait défaut : une musique qui unit dans l’équilibre le pathétique et la retenue, le charme autant que l’austérité du Carmel.

Le souci essentiel de Poulenc a été de mettre en valeur le texte littéraire pour le faire entendre [1]. Voici ce qu’il en dit à Pierre Bernac : « Orchestration très claire pour laisser passer le texte » [2]. Comme dans ses deux opéras en un acte Les mamelles de Tirésias et La Voix humaine, Poulenc se révèle un génie de l’instrumentation. Sa musique, intense et transparente, jamais atonale, – il dira d’ailleurs que ses pauvres Carmélites « ne peuvent chanter que dans le ton » [3] – se distingue par une poésie sonore pleine d’émotions. Dans une lettre à Henri Hell, le compositeur s’étonne lui-même : « Je n’aurais jamais cru que je pourrais écrire une œuvre de ce ton… », ajoutant un peu plus loin que le public en aurait froid dans le dos [4]. Cependant, il est bien conscient « qu’un tel sujet comporte sa part de martyre » [5].

Quelques mots sur l’origine de ce texte. À l’origine, Bernanos avait été chargé de composer les dialogues d’un scénario cinématographique, lui-même tiré de la célèbre nouvelle de Gertrud von Le Fort. Cette dernière, convertie au catholicisme en 1926, a construit une œuvre tout entière fondée sur le thème de la grâce. En 1931, elle signa donc La dernière à l’échafaud (Die Letzte am Schafott), une nouvelle écrite sous la forme d’une longue lettre ayant pour thème la marche au martyre de seize carmélites de Compiègne qui furent guillotinées en place de Grève, le 17 juillet 1794. Ce texte s’appuyait lui-même sur les mémoires de Marie de l’Incarnation, l’une des carmélites.

À partir de son nom, von Le Fort invente dans ce récit le personnage central de Blanche de la Force. L’angoisse de Blanche face au régime de la Terreur était sans doute le reflet de celle que ressentait l’auteur face à la montée du nazisme [6]. Mais l’œuvre de Bernanos est profondément différente du récit allemand, ne serait-ce que parce que Bernanos se trouvait lui-même à la veille de sa propre mort.

Poulenc effectuera lui-même, « avec un immense respect », le découpage du texte de Bernanos qu’il réduit de moitié environ. Relatant la genèse de l’œuvre, il fait remarquer que « c’est mal me connaître que de s’étonner de ma collaboration avec Bernanos. Sa conception spirituelle est exactement la mienne et sa violence répond parfaitement à un côté total de ma nature, qu’il s’agisse du divertissement ou de l’ascèse » [7].

La mort et la peur de la mort : c’est dans la métaphysique la plus essentielle que s’enracine l’opéra de Poulenc, à travers le texte de Bernanos. Les Dialogues des Carmélites sont l’histoire la plus « entre les lignes » qui soit ; c’est une longue méditation sur la mort venant d’un homme qui se sait condamné. Le « silence » du texte mène vers ces lieux de l’âme où s’affrontent la Grâce et la liberté de l’homme. Le drame progresse, en une admirable ascension, de la peur et de la détresse personnelles aux sommets de l’accomplissement de la Grâce. Ici, psychologie et surnaturel sont étroitement liés. Le thème de la Communion des Saints traverse tous les Dialogues. Participant à la mort rédemptrice du Christ, la Prieure contribue au rachat des âmes, et la mort de Blanche, incompréhensible dans une perspective rationnelle, s’explique par la logique et la puissance de la Grâce et de la Communion des Saints.

On peut également avancer, sans tomber dans l’excès, que Poulenc « l’anxieux » espérait une préfiguration de sa propre fin dans la mort « visitée par la grâce » de Blanche : c’est par sa fragilité qu’il a été séduit. « Blanche c’était moi et elle est encore moi » [8].

Ce sont ces différents thèmes théologiques et spirituels que ces pages voudraient explorer. Que se cache-t-il derrière la peur de la mort, le transfert de la grâce, le martyre, la Communion des saints ? Avant d’entrer dans ces sujets, je propose de retracer en quelques lignes l’itinéraire spirituel qui va mener Poulenc des Litanies à la Vierge noire aux Dialogues des Carmélites.

Des Litanies aux Dialogues, un itinéraire spirituel

Souvent, on a reproduit la formule de Claude Rostand selon laquelle Poulenc aurait été moine et voyou [9]. Même si Francis Poulenc ne récusait pas cette étiquette en disant : «  Comme l’a très bien dit Claude, il y aura toujours en moi du moine et du voyou » [10], ne convient-il pas d’aller au-delà de ce cliché un peu caricatural pour découvrir le visage authentique de ce musicien ?

Depuis le Bestiaire et la Rhapsodie nègre, les Mouvements Perpétuels jusqu’aux Dialogues des Carmélites et La Voix humaine, que de chemin parcouru, quelle évolution ! Il est évident que l’on ne parvient pas, du premier coup, à de tels sommets. Au sujet du parcours de Poulenc, Henri Sauguet affirmait avec beaucoup de justesse : « Œuvre par œuvre, Francis Poulenc, d’un pas désinvolte, heureux, cocasse, charmeur, s’est épanoui librement, sans changer d’orientation, d’itinéraire, de destination. […] Il a conquis des terres et des lieux auxquels il semblait bien peu prédestiné et qu’il a faits siens » [11].

Jusqu’en 1936, aucune œuvre d’inspiration sacrée ne figure à son catalogue, déjà riche de près de vingt ans de production. C’est donc en 1936, alors que rien ne le laisse présager, que le compositeur revient à la foi de son enfance et écrit ses Litanies à la Vierge Noire ; dès lors, rares seront les années qui ne verront pas la création d’une œuvre sacrée. Poulenc se trouve alors en vacances à Uzerche, où il répète avec le baryton Pierre Bernac et le chef de chœur Yvonne Gouverné les programmes de concerts de la saison suivante. La nouvelle de l’accident mortel de son ami le compositeur et critique Pierre-Octave Ferroud [12] lui parvient alors qu’il projette de visiter le sanctuaire de la vierge Noire de Rocamadour, situé à quelques kilomètres de là. Cette mort brutale impressionne profondément Poulenc.

Yvonne Gouverné narre cette « visite » – qu’il faudrait peut-être considérer comme une « visitation » –, et ajoute ce détail qui n’est pas sans importance : « Rien ne s’est passé en apparence et pourtant tout était changé dans la vie spirituelle de Poulenc. […] De retour à Uzerche, il se mit aussitôt à écrire l’œuvre si pure pour chœur de femmes et orgue » [13]. Voici comment Poulenc revient sur le « choc » de Rocamadour dans ses Entretiens avec Claude Rostand, en 1953, au moment même où le musicien entreprenait la composition des Dialogues des Carmélites : « Frappé de stupeur. Songeant au peu de poids de notre enveloppe humaine, la vie spirituelle m’attirait à nouveau » [14].

Si les Dialogues des Carmélites ont croisé par un heureux hasard la route de Francis Poulenc, le musicien s’y était préparé à son insu. « En plein milieu de la vitrine d’un libraire de Rome, relate Poulenc, les Dialogues semblaient m’attendre » [15]. Plongé dans la composition de ses œuvres avec une concentration extraordinaire, Poulenc va s’identifier à ses personnages. Pierre Bernac abonde dans ce sens, rattachant la dépression de 1954 à ce phénomène d’identification : « Ces dames de Compiègne ne sont certainement pas étrangères à cette grande crise. Si Blanche de la Force et la première Prieure lui ont transmis leur crainte de la mort, on peut au moins l’expliquer en partie par l’intensité avec laquelle il a réussi à les faire revivre » [16].

Une fois encore, les lettres de Poulenc montrent à quel point il s’investissait dans son sujet, friand de descriptions qui faisaient croire à la réalité. Poulenc écrit à Simone Girard, la confidente des bons et des mauvais jours : « La mère Prieure me permettant de vous écrire ces quelques lignes, j’en profite. Je ne savais pas la vie si austère au Carmel » [17]. Ou bien encore, écrivant à Pierre Bernac, il dit : « Je ne viendrai pas à Paris […] parce que Mère Prieure m’interdit de sortir de la clôture » [18].

Bien entendu, le Poulenc des Dialogues restera toujours Francis Poulenc. Il dira : « Il faut toujours du terreau humain pour faire pousser des lys » [19]. Le 21 octobre 1955, son ami Lucien Roubert décède des suites d’une pleurésie cancéreuse, le compositeur écrit alors à Simone Girard et précise : « Les Carmélites achevées de recopier exactement à l’heure même où mon pauvre grand rendait le dernier soupir. […] Qui dira jamais assez le secret de certaines œuvres ? […] J’espère que lorsque viendra ma vraie mort je saurai alors mourir… comme Blanche » [20].

La peur de la mort

Bernanos situe dans un drame terrestre cette grande partenaire de la vie humaine qu’est la mort. De la mort en couches de la mère de Blanche jusqu’au martyre des Carmélites, en passant par la mort de la Prieure, la mort traîne, passe et repasse. Elle tisse toute la trame des paroles de cette œuvre, depuis les cris de la foule entourant le carrosse, repris dans ceux des révolutionnaires envahissant le Carmel et jusque dans la rumeur de la foule qui cerne les suppliciées. Dans toutes ses œuvres, Poulenc ne tentera jamais autre chose que de surnaturaliser l’angoisse humaine. Il y parvient en comprenant que l’angoisse du Christ à Gethsémani et son agonie donnent leur sens à toute agonie humaine, ou plutôt, que c’est lui qui agonise dans chacune de nos agonies. Bernanos l’avait déjà dit, dans une page de La Joie, où l’abbé Chevance déclarait : « En un sens la Peur est tout de même la fille de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi Saint… Ne vous y trompez pas, elle est au chevet de chaque agonie, elle intercède pour l’homme » [21].

La Passion du Christ se trouve donc au centre des Dialogues des Carmélites. Chaque religieuse doit être confrontée au mal : la peur chez la première Prieure et Blanche, l’orgueil chez Mère Marie… ; mais également, à la souffrance, à la solitude, aux tentations, comme l’a été le Christ au Jardin des Oliviers. Dès le début, le sens donné au déroulement de l’histoire s’exprime par Blanche : «  Il n’y a jamais eu qu’un seul matin, celui de Pâques ! » La Passion et la Résurrection se renouvellent chaque jour de la destinée humaine. La peur humaine face à la mort va se « transfigurer » en s’accordant avec l’évocation de celle du Christ.

Poulenc est parvenu à mobiliser tous les moyens que la musique mettait à sa disposition pour relever l’ambitieux défi de donner une expression authentique aux sentiments humains et aux angoisses existentielles. Le personnage principal, fictif, est Blanche de la Force, âme craintive, qui a peur pour ainsi dire même de son ombre. Mais en entrant au Carmel et en prenant le nom de Sœur Blanche « de l’Agonie du Christ », elle montre qu’elle choisit de surmonter ses peurs pour entrer volontairement et durant toute sa vie dans l’angoisse du Christ à Gethsémani. C’est le premier signe du sens profond de sa vocation au-delà de la superficialité dans laquelle on la devine. Tout l’opéra nous renvoie à Gethsémani, c’est-à-dire au lieu et à l’angoisse qu’une âme éprouve lorsqu’elle se sent abandonnée de Dieu.

C’est également l’époque tout entière qui est à Gethsémani ; nous nous situons en 1798. C’est Blanche qui éprouve sans arrêt cette angoisse métaphysique ; puis ce sera la Prieure, frappée de plein fouet par la nuit du mont des Oliviers, au moment de mourir. Dans la cellule de l’infirmerie (Acte I, 4e tableau), après trente ans de vie conventuelle, elle est seule « absolument seule, sans aucune consolation », comme le Christ à Gethsémani ; elle délire et meurt en disant : « mortpeur de la mort ». Elle entre finalement dans « une mort trop petite pour elle », comme si on lui avait envoyé par erreur la mort d’une autre. La Prieure sacrifie sa mort en prenant sur elle, par avance, l’agonie de Blanche, anticipant le martyre que subiront les autres carmélites. La Prieure meurt pour Blanche ou, plus exactement, agonise pour sa fille spirituelle, « l’enfant de sa vieillesse », « la plus chère à son cœur ». Le nom même de l’agonie circule de l’une à l’autre, l’épisode de la Prieure qui jadis avait pensé entrer en religion sous ce même nom ne servant que de prétexte dramatique. En effet, la Prieure, avant de mourir, avouera que ce nom de Blanche de l’Agonie du Christ, elle avait pensé le prendre, mais qu’elle avait reculé sous l’avertissement de la Prieure d’alors : si on entre dans Gethsémani, on n’en ressort plus. Blanche est entrée au Carmel en prenant, avec le nom « de l’Agonie du Christ » toutes les angoisses que la Prieure n’avait finalement pas osé endosser, puisqu’elle avait rebroussé chemin devant ce nom si terrible. Blanche, en quelque sorte, s’est substituée à la Prieure en revêtant les craintes et les angoisses de l’agonie. À son tour, la Prieure « prendra la place » de Blanche en mourant dans l’angoisse et offrira ainsi à la jeune novice une mort paisible quand ce sera son tour… Voilà le transfert des destinées.

Le transfert de la grâce

L’horrible agonie de la Prieure représente une sorte d’échange mystique, comme si sa mort atroce rachetait le sacrifice de la pauvre Blanche tourmentée par l’angoisse. On retrouve ici un autre motif de ce drame : l’idée de mourir pour autrui.

Poulenc a souligné à plusieurs reprises que le transfert de la grâce était le thème central de la pièce de Bernanos. Dans ses Entretiens avec Claude Rostand, en parlant des Dialogues des Carmélites, il n’hésite pas à les définir de cette manière : « Si c’est une pièce sur la peur, c’est également et surtout, à mon avis, une pièce sur la grâce et le transfert de la grâce. C’est pourquoi mes carmélites monteront à l’échafaud avec un calme et une confiance extraordinaires. La confiance et le calme ne sont-ils pas à la base de toute expérience mystique ? » [22]. Dans une lettre à Pierre Bernac, il affirme que « C’est toute la pièce » [23].

Dans son approche de l’œuvre, Francis Poulenc reconnaît l’importance de l’idée fondamentale pour Bernanos de la « réversibilité » des destins dans la mort : « J’ai tout naturellement commencé mon travail par le dialogue entre Mme de Croissy et Blanche, au premier acte. Ce qui, pour moi, compte autant que la « peur de Blanche », c’est l’idée si bernanosienne de la communion des saints et du transfert de la grâce. C’est pour cela que j’ai essayé de rendre « sensible » au maximum la scène dans laquelle Constance, cette adorable soubrette de Dieu, explique : « qu’on ne meurt pas chacun pour soi mais les uns pour les autres [24] ».

Dans la théologie catholique, les saints, vivants et morts, forment une communauté spirituelle où l’on peut intercéder les uns pour les autres. La vie du corps mystique du Christ est un échange perpétuel où chacun tient le rôle qui lui incombe. Participant à la mort rédemptrice du Christ, la Prieure contribue au rachat des âmes. Et la mort de Blanche, incompréhensible dans une perspective rationnelle, s’explique tout à fait par la logique et la puissance de la Grâce et de la communion des Saints. Cette communion se réalise sous deux formes : l’une horizontale, qui unit les hommes entre eux, l’autre verticale, qui s’établit avec le Christ « mort pour tous », de sorte que ce que chacun fait ou souffre dans et pour le Christ porte du fruit pour tous [25].

Ce « transfert de la grâce », cœur de la pièce de Bernanos, va se développer jusqu’à un échange de destinées et de morts. La première Prieure n’a pas eu la mort édifiante que sa vie vertueuse méritait. Ce n’est pas une injustice, mais au contraire un sacrifice, où la religieuse a pris la peur d’une autre, la mort qui aurait dû normalement être celle d’une autre. En d’autres termes, l’angoisse de son agonie n’était pas vraiment la sienne, mais celle, future, d’une anxieuse qui aura au contraire une mort courageuse. La première Prieure est morte en quelque sorte à la place de Blanche et l’a délivrée de sa peur. C’est ce que déclare Constance [26], dans son langage imagé, dans une phrase clé, à la fin du premier interlude de l’acte II : « On ne meurt pas chacun pour soi mais les uns pour les autres, ou même les uns à la place des autres, qui sait ? » Poulenc citera cette phrase dans une lettre à Pierre Bernac datée du 19 août 1955 : « Comme je vous l’ai déjà écrit, la phrase de Bernanos « On ne meurt pas chacun pour soi… mais les uns à la place des autres » me hante » [27].

Et Constance d’en donner l’interprétation : « Ça veut dire que cette autre, lorsque viendra l’heure de la mort s’étonnera d’y entrer si facilement, et de s’y sentir confortable… » Cette « autre » dont la Prieure a assumé par avance la mort, n’est pas nommée, mais il s’agit bien entendu de Sœur Blanche. Cette dernière « régénérée », délivrée de toute peur, pourra monter calmement à l’échafaud, en chantant la fin du Veni Creator.

[1Régine Crespin partageait, du moins au départ, un autre avis que celui de Francis Poulenc à propos du texte de Bernanos : « Pour moi, la langue de Bernanos se suffisait à elle-même et le sujet du livre me paraissait trop vaste, trop lourd, trop sérieux pour qu’on l’habille de musique. […] Quelques jours plus tard, chez lui, il m’a joué au piano l’air de la prison ainsi que le final, la scène de l’échafaud. J’en ai eu le souffle coupé et j’ai rendu les armes, séduite, en fait, beaucoup plus par l’aspect vocal du rôle qu’il me destinait – l’air de la prison est divinement écrit, mélodique et harmonieux – que par l’allure générale de l’œuvre ». Régine Crespin au cours de sa carrière passera d’une Prieure à l’autre : « En fait, pendant les dix-sept années où j’ai chanté le rôle de Madame Lidoine, j’étais verte de jalousie envers celle qui chantait la Première Prieure.[…] Poulenc s’en était rendu compte et m’avait prédit que je le chanterais vers mes quarante-cinq ans ». R. Crespin, D’une Prieure à l’autre, propos recueillis par F. Gastellier, in Poulenc, Dialogues des Carmélites, L’Avant-Scène Opéra, mai 1983, n° 52, pp. 104-107. Voir également R. Crespin, À la scène, à la ville, Mémoires, éd. Actes Sud, Babel 1997, pp. 167-173.

[2Lettre à Pierre Bernac, 22 août 1953. F. Poulenc, Correspondance 1910-1963, réunie, choisie, présentée et annotée par Myriam Chimènes, Paris, Fayard, 1994, p. 758.

[3De Cannes, il écrit à ce sujet à Henri Sauguet : « Comment va Paris ? Se dodécanise-t-il à toute allure ? Les Carmélites, les pauvres, ne peuvent chanter que dans le ton. Il faut leur pardonner » ; op. cit. p. 782.

[4Lettre à Henri Hell, 14 février 1954, op. cit. p. 785.

[5Lettre à Georges Auric, 22 septembre 1953, op. cit. p. 768.

[6Citation de Gertrud Von Le Fort : « Ce n’est pas le destin des seize Carmélites qui fut le point de départ de cette fiction, mais le personnage de la jeune Blanche. D’un point de vue historique, elle n’a jamais existé, mais elle a reçu le souffle de la vie de mon esprit intérieur, et on ne peut la détacher de cette origine, qui est la sienne. Née dans l’horreur profonde d’une époque assombrie par les signes de la destinée, ce personnage m’est venu comme l’emblème d’une époque à l’agonie travaillant à sa propre ruine ».

[7« L’Opéra de Paris », n° 14, 1957. À ce sujet François Mauriac écrivit dans son Bloc-Notes du 2 février 1963, le jour même des funérailles de Francis Poulenc : « Poulenc venait de recevoir des Italiens la commande d’un opéra sur le thème du Dialogue des Carmélites. Son enthousiasme m’étonnait, m’agaçait un peu. J’ignorais tout alors de son inspiration religieuse et le jugeais en secret bien présomptueux. La communion des saints ne me semblait pas à sa mesure ». In Poulenc, Dialogues des Carmélites, Un itinéraire spirituel, Jean Roy, L’Avant-Scène Opéra, op. cit. p. 36.

[8Lettre à Hervé Dugardin, 30 mars 1958, op. cit. p. 890.

[9« Le moine et le voyou. Il y a deux personnes chez Poulenc : il y a, si j’ose dire, du moine et du voyou. C’est le second qui a signé le nouveau concerto. Un mauvais garçon, sensuel et câlin, polisson et attendri, gracieux et brusque, aristocrate et peuple, et qui a infiniment de distinction dans l’accent faubourien ». Article de Claude Rostand publié dans Paris-Presse du 26 juillet 1950, à propos de la première audition du Concerto au Festival d’Aix-en-Provence.

[10Lettre à Hélène Jourdan-Morhange, 22 août 1950, op. cit. p. 693.

[11Henri Sauguet, L’œuvre lyrique de Francis Poulenc, in Poulenc, Dialogues des Carmélites, L’Avant-Scène Opéra, op. cit. p. 4.

[12Le compositeur Pierre-Octave Ferroud avait été littéralement décapité dans un accident automobile à Salzbourg, le 17 août 1936.

[13Yvonne Gouverné, p. 21, cité dans Francis Poulenc, Correspondance 1910-1963, op. cit. Note 9, p. 426.

[14Francis Poulenc, Entretiens avec Claude Rostand, éd. Julliard, 1954.

[15« L’Opéra de Paris » (N° 14, 1957).

[16Pierre Bernac, Lettre à X, 17 juillet 1954, (collection particulière).

[17Lettre à Simone Girard, 1er septembre 1953, in F. Poulenc, Correspondance, op. cit., p. 761.

[18Lettre à Pierre Bernac, 11 septembre 1953, op. cit. p. 764.

[19Lettre à Simone Girard, 6 mars 1957, op. cit. p. 863.

[20Lettre à Simone Girard, 31 octobre 1955, op. cit. p. 831.

[21Bernanos, in La Joie, II, 4, extrait des Œuvres romanesques suivi de Dialogues des Carmélites, Pléiade, Paris, Gallimard, 1961, p. 675.

[22F. Poulenc, Entretiens avec Claude Rostand, Paris, Julliard, 1954, pp. 213-214.

[23Lettre à Pierre Bernac, 19 décembre 1953, in Correspondance, op. cit. p. 777.

[24F. Poulenc, Cahier de l’Herne, Georges Bernanos, Paris, 1962, réédition 1967, p. 156.

[25Catéchisme de l’Église Catholique, Mame/Plon, 1992, p. 206. cf. Lumen Gentium n° 49 : « En effet, tous ceux qui sont du Christ et possèdent son Esprit, constituent une seule Église et se tiennent mutuellement comme un tout dans le Christ (cf. Eph. 4, 16). Donc, l’union de ceux qui sont encore en chemin avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du Christ n’est nullement interrompue ; au contraire, selon la foi constante de l’Église, cette union est renforcée par l’échange des biens spirituels ».

[26Tout à l’opposé de Blanche, entrée au couvent pour fuir l’existence du monde, Sœur Constance a choisi librement la vie religieuse. Le personnage de cette dernière est largement inspiré de la figure de sainte Thérèse d’Avila qui a réformé le Carmel en 1562. Constance, par ses réparties et ses intuitions, incarne également « l’esprit d’enfance » cher à Thérèse de Lisieux.

[27Lettre à Pierre Bernac, 19 août 1955, op.cit. p. 826.

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