Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La Nouvelle Évangélisation et la Vie Religieuse

À propos des Lineamenta du Synode sur la Nouvelle Évangélisation

Lutgardis Craeynest, f.m.a.

N°2012-2 Avril 2012

| P. 115-122 |

La Présidente de l’Union des Conférences Européennes de Supérieur(e)s Majeur(e)s, que notre revue a déjà présentée (Vs Cs 2008-3), nous livre sa lecture du premier Document (Lineamenta) préparant le Synode sur la Nouvelle Évangélisation, célébré à Rome en octobre prochain. Les « souhaits » qu’elle formule en conclusion ne peuvent passer inaperçus.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

Le vendredi 4 mars 2011, la Cité du Vatican a publié les Lineamenta de la 13e Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques, qui aura lieu au Vatican, du 7 au 28 octobre 2012 sur le thème « Nova evangelizatio christianem fidem tradendam – La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne » [1]. Il m’a été demandé d’exprimer ma pensée sur la nouvelle évangélisation en rapport avec la vie consacrée. Sur base de mon expérience dans différents mandats au niveau de la formation et du gouvernement de ma congrégation, les Filles de Marie Auxiliatrice (Maria Mazzarello et Don Bosco) et d’une vision (pourtant limitée) de la vie religieuse en Europe, en tant que présidente de Union des Conférences de Supérieur(e)s Majeur(e)s d’Europe (l’UCESM), je tenterai d’exprimer quelques-unes de mes idées sur ce document, en ce qui concerne plus particulièrement la vie religieuse.

Dans ces Lineamenta, l’Église nous invite, religieux et religieuses, à assumer notre responsabilité dans la nouvelle évangélisation. Après une énumération des nouveaux scénarios de notre temps – culturel (la sécularisation), social (le brassage des peuples), médiatique, économique, scientifique et politique –, l’appel est clair : « Outre les groupes récemment créés, fruit prometteur de l’Esprit Saint, l’une des tâches importantes dans la nouvelle évangélisation concerne la vie consacrée, dans ses formes anciennes et nouvelles. Il faut rappeler que tous les grands mouvements d’évangélisation des deux mille ans du christianisme sont liés à des formes de radicalisme évangélique » (Lineamenta, 8).

Commençons par quelques remarques, avant de préciser en quoi consiste l’appel fait aux membres de la vie consacrée, et avant tout, aux religieux et religieuses.

La nouvelle évangélisation

Il est symptomatique que l’on parle de « nouvelle » évangélisation et non pas de « réévangélisation ». C’est que la société a changé, les hommes ont changé. Nous pensons différemment, notre vision s’est modifiée. L’énumération des nouveaux « scénarios » le confirme. Notre culture s’est portée à distance du christianisme – ce qui ne signifie pas en soi la fin de celui-ci. C’est plutôt la fin d’une culture religieuse, c’est-à-dire d’une religion qui fonde et intègre la culture et qui est reconnue et acceptée comme telle. La question n’est pas de savoir comment l’Église doit continuer à s’adapter à la culture moderne, mais de savoir ce que signifie être Église dans la culture actuelle et donc, dans une culture séculière, un monde non chrétien.

Un ton réaliste

Je dirais en outre que l’Église et la vie religieuse ont, elles aussi, changé. Il suffit de penser aux événements récents, avec la suite des scandales que l’on connaît. Nous sommes plus que jamais convaincus, comme le dit Enzo Bianchi, que « nous ne sommes pas meilleurs » [2]. Et le signe de ce réalisme se lit dans notre texte : « Cette logique de la reconnaissance englobe aussi le courage de dénoncer les infidélités et les scandales qui se vérifient dans les communautés chrétiennes […]  ; le courage de reconnaître les fautes […]  ; l’exercice de la pénitence et l’engagement sur des chemins de purification et la volonté de racheter les conséquences de nos erreurs… » (Lineamenta, 17).

Pourtant, notre position ne s’est pas trouvé modifiée seulement à cause de ces événements. Le temps est passé de grandes institutions. Le temps est passé où notre influence morale était indiscutable. Nous sommes devenus plus modestes. Et c’est bien ainsi. Par ce que c’est plus conforme à l’Évangile. Cela veut dire sans doute que nous sommes plus aptes à la nouvelle évangélisation.

Et les religieuses ?

Je ne sais pas si les religieuses sont visées, vu que les Lineamenta sont envoyés aux Synodes des Évêques, aux Conférences épiscopales, et à la seule Union des Supérieurs Généraux… Mais cela ne nous empêche pas, nous religieuses, d’apporter notre contribution spirituelle et charismatique à la nouvelle évangélisation. La nouvelle évangélisation, comme aussi l’évangélisation tout court, ne peut se réaliser sans la présence et l’engagement des femmes. Je regrette que dans l’Église la femme et surtout la religieuse ne soient, une fois de plus, pas valorisées. Mais poursuivre cette réflexion serait un autre chapitre.

Un défi pour la vie religieuse

Ainsi, les Lineamenta nous interpellent aussi. Dans certains paragraphes, l’Église s’adresse aux religieux pas seulement comme un professeur indiquant comment nous devons vivre et donnant des normes. Dans ce document, l’Église demande notre collaboration. Nous sommes compris comme des partenaires, au niveau de la communauté, de la mission, du témoignage.

Le rôle de la communauté religieuse

La nouvelle évangélisation nous demande de nous confronter aux scénarios susdits (Lineamenta, 6), « en ne restant pas enfermés dans les limites de nos communautés et de nos institutions » (L, 7). Nous ne pouvons pas fermer nos portes pour vivre une vie tranquille ; nous devons avoir l’audace des apôtres pleins de l’Esprit Saint qui ouvrent la porte pour annoncer la Bonne Nouvelle, pour évangéliser.

Comme communauté et avec l’infrastructure de nos couvents, nous pouvons réaliser ce que le numéro 11 demande : « Transmettre la foi signifie créer en tout lieu et en tout temps la condition pour qu’arrive cette rencontre entre les hommes et Jésus-Christ (L, 11). On peut ainsi organiser des retraites, ouvrir nos portes et nos chapelles afin que les gens puissent participer à l’Eucharistie et aux prières communautaires.

Et s’il est vrai que nous suivons le Christ, la conversion doit être notre modus vivendi. Jésus lui-même n’a-t-il pas commencé sa vie publique par un appel de se convertir : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15) ? Si nous voulons suivre radicalement le Seigneur, nous devons être les premiers à nous convertir, à changer notre vie pour pouvoir accueillir la Bonne Nouvelle. « Il ne s’agit pas d’annoncer une parole de consolation, mais une parole de rupture qui invite à la conversion, qui rend possible la rencontre avec Dieu, germe d’une humanité nouvelle (L, 13).

De même pour la prière. Aussi bien chez les religieux « actifs » que chez les « contemplatifs », la rencontre journalière avec le Seigneur doit être le fondement de notre vie. Non seulement pour nous-mêmes, mais grâce à la prière individuelle et communautaire, nous créons un climat d’attente, de désir, d’envie de rencontrer Dieu Amour. C’est ce que nous lisons dans les Lineamenta : « La transmission de la foi ne se fait pas seulement avec les paroles : elle exige un rapport avec Dieu à travers la prière qui est la foi elle-même à l’œuvre. Et dans cette éducation à la prière, la liturgie est décisive, avec son propre rôle pédagogique » (L, 14).

La mission des religieux et des religieuses

On ne veut pas dire que seuls les religieux et les religieuses auraient le monopole d’une mission dans l’Église, mais il est vrai que toute leur vie est vouée au service de l’Église, comme l’Église le répète.

La mission d’éducation et d’enseignement représente une possibilité excellente pour évangéliser : « Il existe un lien fort entre l’initiation à la foi et l’éducation […]. les institutions éducatives jouent un rôle crucial ». C’est, depuis des siècles, la responsabilité de nombreux Ordres et Congrégations. « À cet égard, l’Église possède une tradition, à savoir un capital historique de ressources pédagogiques, de réflexion et de recherche, d’institutions, de personnes – consacrées ou non, réunies dans des ordres religieux ou dans des congrégations – capables d’offrir une présence significative dans le monde de l’école et de l’éducation […] ; ce capital connaît lui aussi des mutations significatives (L, 20).

De même pour l’engagement social, demandé dans le texte : « On ressent l’urgence du courage de soutenir des initiatives de justice sociale et de solidarité, mettant le pauvre au centre de l’intérêt de l’Église » (L, 17). Les religieux doivent, auprès et avec des laïcs inspirés par l’évangile, faire entendre leur voix là où les décisions sont prises. Plusieurs congrégations ont un siège à l’O.N.U. Là, ils et elles parlent pour ceux qui n’ont pas de voix. Ainsi, nous – surtout les religieuses – nous opposons publiquement aux pratiques humiliantes du trafic des êtres humains.

Les grands Ordres et les Congrégations internationales sont les mieux placés pour promouvoir une interaction entre nations, cultures et religions diverses. C’est un appel qui nous touche : « Il faut la force de construire des communautés douées d’un véritable esprit œcuménique et capables d’un dialogue avec les autres religions » (L, 17).

Les opportunités

Nous avons des occasions propres de contribuer comme religieux et religieuses, à côté des autres, puisque « autour de l’évêque, on a vu fleurir le rôle des prêtres, des parents, des religieux, des catéchistes, des communautés, chacun avec une responsabilité et une compétence propres » (L, 15).

Et même, « à un moment où le choix de la foi et de la sequela du Christ paraît moins facile et peu compréhensible, et même contrasté et entravé » (L, 16), nous devons – par amour pour l’Église – vivre notre vie, parce que « l’Esprit réunit les croyants autour des communautés qui vivent leur foi avec ferveur, se nourrissant de l’écoute de la parole des Apôtres et de l’Eucharistie, et vivent pour annoncer le Royaume de Dieu (L, 15). Avant tout, nous devons être convaincus que notre vie peut être significative. Notre façon de vivre – profession, communauté, charisme – peut créer un espace pour la nouvelle évangélisation.

La force spirituelle de notre profession religieuse est un fait. Tant de gens ne trouvent plus de sens à la vie. Par les vœux, nous professons que la vie a un sens, parce que la vie ne finit pas avec la mort, parce que nous avons un futur. Par notre être plus encore que par nos activités, nous manifestons que nous croyons que la vie ne finit pas dans le hic et nunc. Nous donnons un témoignage du sens sacré de la vie. Nous sommes un signe eschatologique. La spiritualité est la réponse urgente au vide et à la superficialité de l’homme moderne. « Cet effort d’insérer la question de Dieu parmi les problèmes de l’homme d’aujourd’hui rencontre le retour du besoin religieux et de spiritualité qui ressort avec une force renouvelée, à partir des jeunes générations » (L, 8).

La vie communautaire est un témoignage. L’homme d’aujourd’hui, malgré les nombreux moyens de communication, souffre d’individualisme, d’égoïsme, de solitude, jusqu’à parfois fuir dans le suicide. Une communauté religieuse peut s’ouvrir à la rencontre, au dialogue, à la recherche du vrai, du bien, du beau. Nous parlons beaucoup de « communion ». Mais qu’est-ce que la communion ? C’est être conscient de l’autre, c’est vivre la cohabitation comme « un appel ensemble », comme un « appel de l’ensemble ». Vivre en communion veut dire que la vocation personnelle, pour vivre vraiment comme religieux/se, ne peut pas être séparée de nos frères, de nos sœurs. Nous nous sommes donnés les uns aux autres pour vivre notre vie religieuse. Un aspect de notre voyage spirituel est constitué par notre vie communautaire. Nous donnons ainsi le témoignage d’une cohabitation de paix, d’une cohabitation féconde. Mais vivre en communauté ne se limite pas aux membres de la communauté au sens strict. Une communauté ouverte garde les portes ouvertes pour laisser entrer tous ceux qui en ont besoin, mais aussi, pour sortir à la rencontre des gens là où ils vivent, afin de témoigner et de proclamer la Parole.

Les divers charismes montrent en concret la richesse et la créativité caritative de l’Église. Nos fondateurs et nos fondatrices ont senti l’appel de Dieu dans une situation concrète, marquée par certaines nécessités. Voilà la différence entre idéal et vocation. L’idéal part de moi-même. C’est moi qui programme ma vie. Une vocation vient comme du dehors : une situation, des personnes concrètes, une inspiration dans la prière, l’étude et la réflexion portent en elles un appel qui peut – et en général, c’est ainsi – bouleverser tous mes plans.

S’ensuivent des engagements possibles pour une nouvelle évangélisation. Avant tout, on doit découvrir toujours de nouveau le cœur du charisme propre, en pressentir l’actualité face aux nouvelles pauvretés et ensuite, en programmant des projets charismatiques concrets, impliquer les laïcs, surtout les jeunes. Les gens sont généreux lorsqu’ils constatent que d’autres hommes vivent dans des nécessités extrêmes. La générosité, la charité ouvrent la porte à l’Amour « providentiel », à l’Amour paternel de Dieu.

Ces trois domaines n’offrent pas seulement des réponses aux nécessités plus urgentes de notre temps – spiritualité, communion, solidarité –, mais ils créent aussi un climat propice aux vocations. Cela nous est aussi indiqué par les Lineamenta : « Il faut souhaiter que donner sa propre vie dans un projet de vocation ou de consécration soit source de joie » (L, 17).

Des témoins crédibles

Ce n’est pas sans raison, à nos yeux, que parmi les témoins crédibles que les Lineamenta nous présentent comme exemple, la plupart soient des religieux : saint Boniface, saint François-Xavier, saint Damien De Veuster et aussi une religieuse, la Bienheureuse Mère Teresa de Calcutta. Cela signifie que les religieux et les religieuses, comme par le passé, sont aujourd’hui aussi responsables directs de l’évangélisation, de la nouvelle évangélisation, d’autant que la nouvelle évangélisation « est surtout un devoir spirituel. C’est une tâche pour les chrétiens qui recherchent la sainteté » (L 22). « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins » (Paul VI), […] des hommes et des femmes qui, par leur conduite de vie, renforcent l’engagement évangélisateur qu’ils vivent (L, 22).

En conclusion

Je souhaite que les maisons religieuses soient des lieux où réfléchir aux valeurs et aux fruits de notre vie commune ; que les communautés soient comme le Cénacle, avec les portes ouvertes ; que les religieux et les religieuses soient là où les laïcs – à cause de leur situation familiale ou de leurs missions professionnelles –, ne peuvent se libérer totalement pour secourir les hommes en détresse. C’est bien dans les couvents, et ils sont nombreux, que les réfugiés et les sans-papiers trouvent souvent leur premier refuge. Je souhaite enfin que les religieux et les religieuses témoignent « que donner sa propre vie dans un projet de vocation ou de consécration (est) source de joie » (L, 17) ; il faut enfin que dans l’Église, on s’engage ensemble parce que, comme nous le dit Helder Camara, « lorsqu’une personne rêve toute seule, son rêve reste un rêve, mais si nous rêvons ensemble avec d’autres, notre rêve peut devenir réalité ». Nous confions ainsi la nouvelle évangélisation à la force animatrice de l’Esprit Saint, et à l’aide de la Vierge Marie.

[1Voir ce document d’une quarantaine de pages, notamment sur le site du Vatican (www.vatican.va/roman_curia/synod/documents).

[2Allusion au titre de l’ouvrage italien Non siamo migliori. La vita religiosa nella chiesa, tra gli uomini, Qiqajon, Bose, 2002 ; paru d’abord en français sous le titre Si tu savais le don de Dieu. La vie religieuse dans l’Église, Bruxelles, Lessius (La part Dieu, 4), 2001.

Mots-clés

Dans le même numéro