Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Quand « prendre soin » est cause de souffrance…

Réflexion sur « la visée du bien » pour un meilleur « prendre soin »

Marie-Flore Pessleux, s.c.n.

N°2014-1 Janvier 2014

| P. 52-62 |

Prendre soin des autres peut faire souffrir, quand le décalage grandit entre les aspirations profondes des soignants et les requêtes techniques de la profession. L’histoire des soins qui furent souvent l’affaire des femmes montre comment notre époque, passant de la personne malade au simple organe à traiter, a pu évacuer le spirituel, pour finir par atteindre le soignant dans son identité. L’auteur, engagée dans le domaine des Maisons de repos, ose proposer la formation du cœur des soignants et l’ouverture d’un espace spirituel de rencontre, pour que soit respecté leur besoin fondamental d’agir en conformité avec leur foi.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

L’infirmière en « Maison de repos et de soins » ne souffre pas seulement de surcharge de travail, ainsi qu’on pourrait le penser. Certes, l’insuffisance de personnel est réelle. Mais une souffrance plus profonde, cachée aux yeux de l’entourage, peut atteindre le soignant : celle de ne pas pouvoir prodiguer les meilleurs soins possibles au malade. L’évolution du métier d’infirmière a fait d’elle un « agent pour la santé », dont on attend aujourd’hui compétences techniques et performances professionnelles pointues, en décalage avec ses aspirations profondes à prendre soin d’une personne, et non pas seulement d’un organe ou d’une maladie.

L’évolution du « prendre soin de » à travers l’histoire

L’histoire des soins commence avec celle de l’humanité. L’homme a toujours eu le souci d’assurer la continuité de la vie, en prenant soin de l’autre. Les actes de « soigner », « veiller sur » se sont transmis et développés à travers les siècles pour faire reculer la mort. La femme assurait le maintien et la continuité de la vie. Jeune, elle ne pouvait assister l’accouchement que si elle-même avait déjà mis au monde un enfant. L’accoucheuse ou la soignante exerçait alors toute une série de soins, en plus de ceux prodigués aux nouveaux-nés : toilette des morts, pratique de massages, soins de beauté, préparation d’une alimentation adéquate, préparations médicinales. Ces « sages-femmes » transmettaient leur savoir oralement et n’ont donc laissé aucune trace écrite de leurs savoirs. De leur côté, les hommes luttaient contre la mort et protégeaient l’espèce, notamment contre les menaces des animaux sauvages. Soigner l’homme blessé était alors interdit aux femmes.

De la « sage-femme » à la religieuse infirmière

Du Moyen-âge à la fin du XIXe siècle, le fait de soigner reste réservé à la femme. Mais un changement de mentalité s’opère. On réalise qu’il n’est pas seulement un acte de charité, mais qu’il requiert aussi des compétences et des formes d’organisation. En 1633, saint Vincent de Paul crée la Compagnie des Filles de la Charité [1], recrutant des jeunes filles de moins de 28 ans, de santé robuste, provenant de familles respectables et ayant une réputation irréprochable. Les critères de recrutement pour une formation de base sont donc d’ordre moral. Les qualités requises ? Disponibilité, dévouement, obéissance et abnégation. Ainsi la « parturiente », entendue comme « la meilleure accoucheuse », laisse progressivement place à ces jeunes filles formées. Plus besoin, donc, d’avoir enfanté pour exercer ces services. Au contraire, sans contrainte familiale, ces vierges peuvent plus facilement se consacrer à la prière et aux soins. Le modèle dominant de la femme soignante devient la religieuse ou la femme consacrée. Le soin est alors vécu comme une œuvre de charité chrétienne. Les activités religieuses se concentrent sur le corps, par lequel on atteint le corps souffrant du Christ. Notons que l’activité bénévole des sœurs n’a pas de contrepartie économique, bien qu’elles reçoivent beaucoup de dons et de legs. Ces infirmières exercent gratuitement leurs soins aux pauvres et aux indigents, et sont elles-mêmes prises en charge par la structure qui les emploie. La valeur du soin, en plus d’être spirituelle, est donc culturelle.

Premières infirmières laïques

En 1884, les médecins réclament des réformes hospitalières. Ils demandent en particulier des infirmières instruites, dévouées et laïques, à l’image de l’infirmière britannique Florence Nightingale (1820-1910). Cette pionnière des soins infirmiers modernes a été surnommée « la dame à la lampe », tant son dévouement aux soins des patients était notable. C’est à l’âge de 17 ans, comme en réponse à un appel, qu’elle décide de consacrer entièrement sa vie au métier d’infirmière. Décision douloureuse pour sa famille aisée, qui voit Florence choisir un métier généralement exercé par des femmes pauvres. En 1845, elle commence sa formation d’infirmière et exerce dans un hôpital de Workhouse. Là, un scandale éclate suite au décès d’un indigent. Elle devient alors la principale militante pour l’amélioration des soins médicaux dans les infirmeries. Elle y est fortement encouragée lors d’une visite en Allemagne, au cours de l’année 1846, dans un hôpital tenu par des sœurs luthériennes. La qualité des soins et le dévouement des sœurs l’impressionnent vivement, à une époque où la médecine a tendance à se fragmenter et où la profession d’infirmière cherche une approche plus globale de la maladie. Lors de la guerre de Crimée, Florence Nightingale constate que beaucoup de décès sont dus à de mauvaises conditions sanitaires, au surmenage et à une carence de l’alimentation. Elle participe par son travail à donner un nouvel essor aux sciences infirmières.

La profession s’institutionnalise et prend un essor considérable, tout en perpétuant le souci de l’humain et la conviction de l’importance de la compassion. Le taux de mortalité diminue de manière visible. Plusieurs personnes attribuent aux infirmières d’être à l’origine de bien des guérisons, alors qu’elles ne font que s’appuyer sur l’efficacité de la prévention pour le maintien de la santé ! Mais Florence Nightingale insiste sur la nécessité de développer aussi le caractère moral et religieux de la profession d’infirmière. Cette façon de voir prend en considération toute la personnalité du malade : les aspects physique, émotionnel, spirituel, récréatif et nutritionnel. Cette statisticienne remarquable a un amour authentique pour les pauvres et un réel désir de diminuer leur misère.

Le modèle « holistique »

À cette époque, le christianisme est encore communément professé. Le mot « foi » n’apparaît pas dans la littérature, mais c’est bien un comportement chrétien que Florence Nightingale décrit (et même celui d’une bonne religieuse !) : souci du pauvre, compassion pour le souffrant, soumission de l’infirmière à son chef et au médecin… C’est le modèle-type de l’infirmière qui sera transmis par la suite. Si le mot « éthique » n’apparaît pas, il existe en filigrane. Pour l’infirmière, la santé n’est pas une entité en soi mais un ensemble de possibilités permettant à la personne de déployer ses ressources pour faire face à la maladie. Le rôle du soignant est d’aider le malade à se rétablir et continuer à vivre, en tenant compte de tous les éléments extérieurs, comme l’environnement biologique, social, psychologique… Aujourd’hui, ce modèle de soins dit « holistique [2] », cherchant à rejoindre le patient dans l’ensemble de ses aspirations, utilisé seul, serait considéré comme un luxe. Aussi est-il associé à celui que l’on appelle le modèle « médico-technique [3] », qui rejoint le souci d’efficacité et la nécessaire objectivation de la maladie, indépendamment du vécu du patient.

De la personne malade au simple organe à soigner

De la fin du XIXe siècle aux années 1920, on assiste à la laïcisation et à l’accroissement de la technicité des soins. Face au corps, un nouveau changement de mentalité apparaît : le danger des infections devient la toile de fond de toutes les interventions. Les gestes qui soignent sont alors appris de manière méthodique, ordonnés de telle sorte que les mains des infirmières deviennent des instruments et que le corps malade soit objet de manipulations. Il se crée une grande distance entre l’infirmière et le malade. Le « corps sujet » devient « corps objet » et le « prendre soin » devient « faire des soins [4] »… Au cours du XXe siècle, le sens de la profession change. La compétence compte plus que le dévouement. Une grande partie de ce qu’enseignait Florence Nightingale est considéré comme travail de base et se trouve donc délégué aux aides-soignantes. L’infirmière n’a plus le temps de s’arrêter à ces soins, pourtant si importants pour la vie : elle doit se perfectionner dans les actes techniques et maintenir à jour ses connaissances. La promotion de l’autoréalisation professionnelle de l’infirmière devient un fait admis. La nouvelle culture du travail s’appuie sur la relation bilatérale infirmière-patient et sur une valeur monnayable.

L’effacement du spirituel

De nos jours, le « prendre soin de », si important, est fort peu mis en valeur. Avec l’arrivée de l’informatique, le travail de bureautique s’alourdit et prend le pas sur le temps passé auprès des malades, qui ont besoin de beaucoup d’attention. Le temps des sages-femmes visait la vie. La transmission du savoir se faisait naturellement, mais l’hygiène manquait cruellement. Le christianisme a permis une nette évolution médicale dans la gratuité, la charité. L’innovation de Florence Nightingale a permis, elle, de conserver les grandes valeurs chrétiennes tout en favorisant l’évolution technique. Mais cette évolution a été tellement rapide qu’aujourd’hui, l’infirmière n’a plus le temps que de s’exécuter et de se perfectionner pour rester suffisamment rentable et performante. Elle ne trouve plus ni loisir ni lieu pour réfléchir à sa place et à son action dans une société qui se déchristianise et où les repères diminuent. Quant à l’aspect religieux, il devient une affaire personnelle, que l’on est prié de ne plus manifester ouvertement.

Ces souffrances connues des soignants

Aujourd’hui le soignant doit régulièrement faire face à des situations qui, selon l’expression de Dominique Jacquemin, participent à le « déloger » de lui-même. En voici un aperçu.

  • La double image professionnelle : beaucoup d’infirmières ont conscience que bien peu d’autonomie leur est accordée. Cette situation tend à évoluer avec les mentalités, mais il reste qu’aujourd’hui, elles agissent et obéissent (exécutent) sans pouvoir – ou avoir l’audace – de s’exprimer. La pensée du médecin est souveraine, davantage à cause du manque de temps et du stress que par volonté. Les infirmières doivent beaucoup supporter, au risque d’être perçues comme trop « fragiles ». Entre obéissance et insensibilité, beaucoup sont tiraillées par une double image professionnelle à laquelle elles s’efforcent de correspondre.
  • « L’imaginaire social » : cette souffrance est liée au déni de la mort. Lorsque malgré l’enseignement reçu, le personnel soignant n’a pas été formé à l’acceptation de la mort, il reste sous l’influence de notre société qui a tendance à évacuer cette réalité et porter la croyance en une médecine toute-puissante. La mort est alors vue comme un échec, qui pèse de tout son poids sur les épaules du soignant. L’émotion le submerge lorsqu’il se trouve face à une maladie incurable et qu’aucun des soins procurés n’aboutisse à une guérison. L’accompagnement des familles est pour lui une épreuve.
  • Le désaccord thérapeutique : le soignant éprouve ce désaccord lorsqu’il y a une forme d’excès ou de manque dans la prise en charge de la douleur, de la mort, de cocktails lytiques. Cette souffrance atteint son paroxysme quand le soignant est sollicité pour poser des actes allant à l’encontre de son idéal moral et de sa visée du bien. Le professionnel est alors atteint dans son élan le plus profond. La souffrance du soignant renvoie à un « cercle de souffrance personnelle ». Elle envahit autant sa pensée éthique que psychologique, et plus particulièrement lorsqu’il prend soin d’un corps altéré. Plongé dans le mutisme, le soignant peut avoir des difficultés à reconnaître ses propres limites et il peut se construire une vision négative de ses propres capacités. Si la personne n’est pas aidée, elle peut se trouver en réelle difficulté morale : incapable de discerner ce qui est juste d’un point de vue éthique ou ce qui est opportun pour le malade. Cette souffrance naît progressivement lorsque le soignant ne parvient plus à justifier tout ce qu’on lui demande de faire. Son insatisfaction peut aussi grandir par manque de formation, de moyens, d’espaces de parole : les tensions vécues entre idéal de soin et prise en charge concrète de la personne malade sont alors trop fortes.
  • Le « burn-out » : il arrive quand le soignant s’engage intensivement au point de nier ses propres besoins. Il épuise ses ressources intérieures. Ce phénomène apparaît progressivement. Quand la personne est gravement atteinte, elle se trouve dans une impasse existentielle. La première cause de souffrance est liée à la rencontre d’un semblable, malade et en situation douloureuse. Le soignant en conçoit une peur de la souffrance, de la rencontre de la douleur et de la mort, un sentiment d’impuissance ou d’identification au patient, la difficulté de se situer dans une juste mesure au sein de la relation au malade, à sa famille. Les situations pénibles s’accumulent et, faute de pouvoir en parler, conduisent à une forme de dépression.

Besoin fondamental du soignant

En dehors de ces difficultés, le soignant peut avoir à affronter une autre souffrance, plus profonde et donc plus difficile à identifier. Dépassons le simple niveau rationnel et critique pour ouvrir le champ de l’existence humaine à une dimension essentielle dont il est important de prendre conscience : le besoin d’agir en accord avec ses croyances, qui fait partie des besoins fondamentaux selon Virginia Henderson [5]. Voyons d’abord la méthode d’éthique clinique pratiquée au centre de Lille [6], en lien avec ce qui est vécu en Maison de repos. Lors d’une décision médicale, une équipe pluridisciplinaire suscite parmi ses membres un échange sur les divers points de vue. Le « sens du bien » en effet n’est pas perçu de la même façon par tous. L’objectif n’est pas de prendre la place du médecin mais de donner la parole aux différents intervenants qui approchent le patient. Dans notre institution, nous provoquons une réunion pluridisciplinaire lorsque la situation médicale d’un résident appelle une prise de décision urgente (ou qui risquerait de le devenir). C’est souvent le personnel lui-même qui voit la nécessité d’une rencontre avec le médecin traitant – et au besoin avec le médecin désigné comme coordinateur, c’est-à-dire le référent qui éclaire en cas de perplexité. Dans une petite structure, il serait souhaitable que ces rencontres soient animées par un psychologue, surtout lorsqu’il s’agit par la suite d’informer les familles. Le rassemblement des différents acteurs de terrain s’imposerait également, afin que tout le personnel soignant soit bien informé et sensibilisé, mais aussi parce que la présence de chacun est indispensable pour prendre les décisions les plus justes possibles. Mais cela reste très difficile. Même si le personnel prend à cœur sa profession, il se déplace rarement sur son lieu de travail uniquement pour assister à ces réunions, surtout quand il est en congé. La déception est grande lorsqu’on compte peu d’effectifs pour une rencontre si importante.

Le soignant atteint dans son identité

Bien souvent, le soignant choisit l’institution dans laquelle il travaille parce qu’elle lui semble correspondre à son idéal, à sa « visée du bien ». Elle devrait lui permettre de procurer ce bien aux autres par le biais d’une action soutenue par une structure. Paul Ricœur envisage des institutions justes. Cependant, des tensions existent entre l’idéal du professionnel et la réalité du terrain. Une souffrance peut alors atteindre le soignant jusque dans son identité : il ressent un décalage entre ses « visées du bien » et l’action qu’il mène ; entre son désir « d’accomplissement [7] » en tant qu’être humain et son action quotidienne. Les circonstances l’obligent à agir en incohérence avec lui-même, avec autrui et avec l’institution. « L’être humain est toujours en attente de son sens, sa capacité à se constituer ce sens le caractérisant en tant qu’un être humain : être capable de trouver un sens à l’énigme de son existence, un être éthique [8] », note Dominique Jacquemin. Le soignant est une personne ayant construit au fil des années ses valeurs personnelles et professionnelles, ses références, qui donnent sens à sa vie. En agissant à l’encontre de sa visée du bien, le soignant est troublé psychologiquement. Et il arrive souvent que cette souffrance morale ne soit pas comprise par l’autorité, qui imagine qu’elle a sa cause dans la vie privée du personnel alors que le problème se trouve sur le lieu du travail.

Une formation du cœur

« Tous ces éléments évoquant la souffrance multiforme des soignants indiquent à souhait combien il importe de développer des pratiques d’accompagnement psychologique et éthique surtout lorsque la pratique du soin les déloge à ce point d’eux-mêmes, de leur psychisme, de leur rapport aux valeurs. [9] », résume Dominique Jacquemin. Le soignant, et plus encore le soignant chrétien, ne peut pas se contenter d’être un simple « agent de santé ». Le Pape Benoit XVI dans son encyclique Deus caritas est, le rappelle avec force :

La compétence professionnelle est une des premières nécessités fondamentales mais, à elle seule, elle ne peut suffire. En réalité, il s’agit d’êtres humains, et les êtres humains ont toujours besoin de quelque chose de plus que de soins techniquement corrects. Ils ont besoin d’humanité. Ils ont besoin d’attention du cœur. Les personnes qui œuvrent dans les institutions caritatives de l’Église doivent se distinguer par le fait qu’elles ne se contentent pas d’exécuter avec dextérité le geste qui convient sur le moment, mais qu’elles se consacrent à autrui avec des attentions qui viennent du cœur, de manière à ce qu’autrui puisse éprouver leur richesse d’humanité. C’est pourquoi, en plus de la préparation professionnelle, il est nécessaire pour ces personnes d’avoir aussi et surtout une « formation du cœur » : il convient de les conduire à la rencontre de Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l’amour et qui ouvre leur esprit à autrui, en sorte que leur amour du prochain ne soit plus imposé pour ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il soit une conséquence découlant de leur foi qui devient agissante dans l’amour (Cf Ga 5,6).

Ouvrir un espace spirituel de rencontre

En pratique, cela signifie que pour maximaliser un soin, notamment un soin technique comme la toilette, le soignant doit sortir de la routine et considérer ce moment comme une occasion de rencontrer l’autre. Le malade en état de dépendance attend cette rencontre. De cette manière, le « prendre soin » oriente vers la relation de soins, la relation humaine, la prise en compte des personnes dans leur contexte. Cette nuance, qui distingue « prendre soin » et « donner des soins », offre à la dimension existentielle l’espace spirituel souhaitable. Pareille ouverture permet au malade d’être pleinement lui-même, et de donner sens aux expériences de sa vie. Mais pour ouvrir l’autre et s’ouvrir soi-même à cette dimension spirituelle, il faut en avoir au préalable la perception. La réalité du quotidien exigeant énormément de compétences techniques, si le soignant n’y est pas préparé par son éducation ou sa culture religieuse, cet aspect spirituel est facilement négligé. Notons qu’une ouverture peut tout de même se produire chez le soignant, lorsque sa propre souffrance fait surgir chez lui une attention plus particulière au patient. Les souffrances endurées par le soignant favorisent presque paradoxalement la création d’un espace spirituel pendant le temps du soin.

Le « prendre soin » en Maison de repos

« Prendre soin » de nos résidents en Maison de repos et de soins est un combat quotidien, continuel. Heureusement, il s’y trouve de nombreuses aides-soignantes sensibles aux besoins de leurs aînés, et qui aiment leur travail. Mais cela ne suffit pas. En plus d’avoir du cœur, il faut être compétent. Accomplir un travail bien fait demande beaucoup d’attention, de vigilance. L’observation d’un personnel infirmier expérimenté et la transmission du savoir est fondamental. Mille choses traversent l’esprit du personnel soignant. Il doit prendre en compte toutes les informations, tous les imprévus… Pour toutes, infirmières comme aides-soignantes, la patience est mise à rude épreuve, le stress est palpable. Toutefois, créer un espace spirituel n’est pas impossible. Nous avons la chance, en Maison de repos, de bien connaître nos pensionnaires. Cette proximité favorise la possibilité de creuser cet espace spirituel, surtout quand la personne, à travers son regard, nous le demande. Ces moments sont alors inoubliables.

[2D. Jacquemin, Quand l’autre souffre. Éthique et spiritualité, collection Donner raison, Bruxelles, Lessius 2010, p. 83.

[3Ibid., p. 83.

[4http://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/presentation/historique-de-la-profession.html note 26, Walter Hesbeen, Prendre soin à l’hôpital. Inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante, Paris, Masson, 1997.

[5Virginia Henderson, née en 1897 à Kansas City et décédée en 1996. Elle élabora un concept de santé qui consiste à traiter une personne plutôt qu’un organe ou une maladie. Elle mit au point une liste de 14 besoins fondamentaux. Cette liste de besoins est jusqu’aujourd’hui utilisée comme référence par les infirmières. Ils sont donnés en ordre chronologique. Si un besoin n’est pas satisfait, les suivants ne peuvent l’être non plus. Le besoin de « pratiquer sa religion et d’agir selon ses croyances » est le treizième. Voir http://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/presentation/historique-de-la-profession.html

[6Pierre Boitte définit cette méthode. Cf D. Jacquemin, op. cit., p. 106-108.

[7Ibid., p. 79.

[8D. Jacquemin, Quand l’autre souffre, coll. Donner raison ; cf. P. Boitte, B. Cadoré, D. Jacquemin et S. Zorrilla, Pour une bioéthique clinique. Médicalisation de la santé, questionnement éthique et pratique de soins, Villeneuve d’Ascq, Septentrion, 2003, p. 65.

[9D. Jacquemin, op. cit., p. 84.

Mots-clés

Dans le même numéro