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Accord historique entre Beijing et le Vatican

Jeroom Heyndrickx, c.i.c.m.

N°2019-1 Janvier 2019

| P. 9-16 |

Kairos

Initiateur de la fondation Verbiest (du nom du célèbre missionnaire scheutiste du XVIIe siècle, son confrère), le père Heyndrickx est l’un des sinologues les plus aguerris et l’un de nos auteurs (Vs Cs 81, 2009-1, 8-18). Il présente dans ses forces et ses limites l’accord provisoire que le Vatican vient de signer avec la Chine communiste.

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Le 22 septembre 2018, les « vice-ministres » du Vatican et de Beijing ont signé à Pékin un accord historique et précieux pour l’Église en Chine. Pour la première fois de son existence, la République Populaire de Chine a contracté un accord avec le Saint-Siège, reconnaissant ainsi le Pape comme pasteur et tête de l’Église. Jusque-là, la République Populaire de Chine ne reconnaissait le Pape que comme souverain de l’État du Vatican. La Chine ignorait ainsi la tâche principale du Pape, tête de la communauté ecclésiale catholique universelle. L’accord concerne uniquement la pastorale et n’a rien à voir avec des relations politiques ou diplomatiques. Quand le Pape nommera un évêque en Chine, cela ne sera plus considéré comme « une ingérence dans les affaires internes ». Dorénavant cela relèvera « normalement » de la tâche et du privilège du Pape, reconnu en tant que tel.

Bien plus, pour la première fois depuis 60 ans, tous les évêques en Chine sont désormais en communion avec le Pape. De tout temps, l’existence d’évêques illégaux (c’est-à-dire non nommés par Rome) en Chine fut une des grandes préoccupations de l’Église. Le rétablissement de cette communion avec Rome était essentiel et il mérite d’être célébré. En outre, il devient ainsi possible que dans un proche avenir, le Pape puisse nommer, en accord avec le gouvernement chinois, des évêques dans une trentaine de diocèses qui jusqu’à présent en sont dépourvus. Voilà donc un problème pendant résolu. C’est pourquoi nous pouvons parler d’un accord « historique », « pour le bien de l’Église en Chine ». Le pape François avec son équipe de négociateurs compétents et dotés d’années d’expérience dans ce domaine, est parvenu à cet accord. Les membres de cette équipe ont d’ailleurs en Chine plus de contacts personnels que certains qui, vivant hors de Chine, critiquent ce résultat.

Toutefois, le grand mérite de l’accord revient aux pasteurs et aux fidèles de l’Église en Chine. Sans ces soixante ans de témoignage courageux de fidélité à Rome de la part de la communauté croyante de Chine – de l’Église « officielle » comme de l’Église « souterraine » –, le Pape ne serait jamais parvenu à ce dénouement. Tout en rendant chacune à sa façon un témoignage crucial de fidélité à Rome, les deux communautés ecclésiales sont profondément divisées concernant la collaboration et le dialogue avec le gouvernement communiste, la communauté souterraine étant en conflit avec le gouvernement surtout en raison de son unité prononcée avec Rome. Ce double témoignage était cependant clair pour tous en Chine. Il a conduit l’autorité civile à reconnaître le Pape comme tête de l’Église universelle, de sorte que maintenant il ait obtenu le droit de nommer des évêques, après accord du gouvernement.

La Lettre du Pape aux catholiques

Le « Pape de la miséricorde » en est clairement convaincu dans sa Lettre à la fois fraternelle et paternelle aux catholiques chinois. Il exprime son « admiration sincère – qui est l’admiration de l’Église catholique tout entière » « pour le don de votre fidélité, de la constance dans l’épreuve, de la confiance enracinée dans la Providence de Dieu, même quand certains événements se sont montrés particulièrement défavorables et difficiles ». Il ajoute : « Ces expériences douloureuses appartiennent au trésor spirituel de l’Église en Chine et de tout le Peuple de Dieu en pèlerinage sur la terre. Je vous assure que le Seigneur, justement à travers le creuset des épreuves, ne manque jamais de nous remplir de ses consolations et de nous préparer à une joie plus grande. Avec le Psaume 126 [125] nous sommes plus que certains que “celui qui sème dans les larmes moissonne dans la joie !” (v. 5) ».

Le Pape se montre bien conscient des « doutes et perplexités » ; de « la sensation d’avoir été comme abandonnés par le Saint-Siège » ; mais aussi « des attentes positives et des réflexions animées par l’espérance d’un avenir plus serein », accentuées par l’Accord provisoire entre le Saint-Siège et la Chine.

Un Accord provisoire

En 1998, j’ai eu l’honneur d’être invité au Synode des évêques d’Asie. J’ai pu y dire ouvertement au Pape et aux 250 évêques d’Asie : « Saint-Père, pour ce qui concerne l’Église en République Populaire de Chine, fiez-vous sans hésitation aux évêques en Chine (note : je ne faisais pas de distinction entre Église « officielle » et « souterraine »)... Nous savons qu’ils sont tous fidèles... D’ailleurs, eux au moins connaissent la situation en Chine.... Ils sont nos meilleurs conseillers ». Récemment, nous avons lu et entendu plus d’une fois les appels des évêques en Chine, aussi bien « officiels » que « souterrains », recommandant à leurs frères de l’Église universelle en dehors du pays : « De grâce, ne parlez pas en notre nom, laissez-nous parler pour nous-mêmes »... Nous avons reçu des messages de plusieurs d’entre eux. Tous soutiennent pleinement le dialogue du Pape François et affirment qu’ils attendent en toute confiance que l’accord soit mis en œuvre.

Évidemment, nous n’en connaissons pas (encore) le texte complet, mais il est évident que l’accord est limité, aussi bien dans le temps que quant à son contenu. Il sera évalué après quelques années. En tout cas, dès maintenant, l’espoir est réel que dans un proche avenir, le Pape puisse enfin, en accord avec le gouvernement, nommer des évêques dans les diocèses chinois. Deux évêques chinois sont déjà arrivés à Rome pour participer au récent Synode des évêques. Le Pape était visiblement ému quand il les a accueillis pendant l’audience générale à Rome. Pour négocier cet accord, il a fallu quatre ans, de 2014 à 2018, parce que l’entreprise était vraiment difficile et ce n’est pas étonnant. Le pape François écrit dans sa Lettre que « c’est le résultat de négociations longues et complexes au niveau institutionnel entre le Saint-Siège et l’autorité civile chinoise. Elles ont été initiées par le saint pape Jean-Paul II et poursuivies par le pape Benoît XVI ».

Nous sommes convaincus que l’accord qui a été obtenu maintenant ne comporte pas tout ce que Rome et Beijing avaient initialement en vue. Aussi bien « les représentants de Dieu » que ceux de « César » ont fait des concessions pour arriver à cet accord. De toute façon, vu la situation pastorale actuelle, il aurait été irresponsable de la part de l’Église de laisser perdurer la situation où tant de diocèses sont sans évêque. Le Pape et son équipe ont rendu un grand service à l’Église en Chine.

L’avenir

Et maintenant ? Il est évident que l’agenda de Rome comporte quelques défis pastoraux. Il n’est pas question de relations diplomatiques. En revanche, nous attendons que Rome et Beijing ouvrent des pourparlers pour nommer des évêques en Chine. C’est le défile plus urgent. Mais bien d’autres points pénibles demeurent sur la table : comment est-ce que Beijing parviendra à admettre qu’une trentaine d’évêques souterrains deviennent membres de la « Conférence Épiscopale chinoise » (CCBC) ? Or, sans cette admission, la CCBC ne sera jamais reconnue par le Saint-Siège. Question cruciale : est-ce que l’autorité en Chine exigera que ces évêques deviennent d’abord membres de l’Association Patriotique Catholique Chinoise, qui de par ses statuts, poursuit l’érection d’une Église catholique indépendante en Chine ? Si cette condition était exigée, il y a beaucoup de chances pour que les évêques souterrains refusent. Comment sera évité cet important écueil ?

Et comment devons-nous comprendre les nouvelles négatives qui nous parviennent de Chine : des croix sont enlevées des églises, les enfants et les jeunes ne peuvent pas recevoir un enseignement religieux ! Est-ce là une politique officielle pilotée d’en haut ou s’agit-il d’initiatives de magistrats locaux qui n’en font qu’à leur tête, comme on nous le prétend ? Si c’est le cas, comment les communautés locales peuvent-elles être protégées de ces initiatives ? Le Pape est bien au courant, puisqu’il écrit : « Nous devons initier une nouvelle forme de collaboration journalière, ouverte, entre l’autorité locale civile et ecclésiale, évêques, prêtres, responsables de communauté, afin que les activités pastorales se déroulent de manière ordonnée selon les attentes légitimes des fidèles et les décisions de l’autorité compétente ». En d’autres termes, il s’agit de laisser place à la religion dans un État de droit.

L’accord signé n’est pas seulement limité. Les signataires se sont aussi accordés sur le fait qu’il est provisoire. D’ici quelques années, il sera de nouveau évalué. Décision sage ! Avec la lettre du pape Benoît XVI à l’Église en Chine, cet accord et la lettre du pape François méritent une place mémorable dans l’histoire de l’Église : c’est la tentative d’obtenir pour la foi chrétienne droit de cité en République Populaire de Chine, officiellement athée. L’accord peut être comparé à la démarche du moine nestorien Alopen qui, en 635, introduisit auprès de l’empereur Taizong la demande que le christianisme soit accepté en Chine. Après trois ans d’examen approfondi du contenu des documents et livres, l’empereur accueillit la « Religion de la Lumière » et le nestorianisme fleurit en Chine, mais c’était après avoir obtenu la supervision de l’empereur. Au XIIIe siècle, le franciscain Jean de Monte Corvino obtint le même accord du Khan mongol et sous les mêmes conditions. Au XVIIe siècle, Matteo Ricci et ses confrères jésuites parvinrent presque à faire accepter officiellement la foi chrétienne en Chine. Ils échouèrent cependant à cause de la « Querelle des Rites » qui provenait de la discorde interne entre missionnaires catholiques. Plus tard, au cours du XIXe siècle, l’impérialisme des puissances occidentales a gâché les relations ; c’est la cause lointaine des dégâts qui perdurent et furent provoqués par la Révolte des Boxers et, plus tard, par la Révolution culturelle sous le président Mao Zedong.

L’accord actuel du pape François avec Beijing n’a pas le statut de l’accord obtenu par les Nestoriens en 635, ni de celui de Joannes de Monte Corvino, mais il constitue évidemment un premier pas sur la voie de l’obtention du droit de cité pour la foi chrétienne en cette République Populaire de Chine athée. Pour atteindre ce but, nous devons apprendre à penser et à planifier non pas en années mais en décennies, peut-être en générations ou même en siècles. Ce que l’Église peut se permettre. Et pour ce qui concerne la Chine, c’est la seule voie pour envisager l’avenir.

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