Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Rencontre

Francine Chauvaux

N°2017-3 Juillet 2017

| P. 3-10 |

Rencontre

Sœur Francine, des Pauvres Sœurs de Mons, fut un temps responsable de l’Union des Religieuses de Belgique ; elle a longtemps présidé aux destinées de plusieurs hôpitaux et œuvres caritatives de son institut, y travaillant à garantir des pratiques éthiques chrétiennes. Dans sa modestie, ce témoignage montre comment la vie religieuse apostolique, après des siècles de bienfaisance, aménage avec une sérénité inventive les moyens de servir le Christ autrement.

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Vs Cs • Sœur Francine, vous êtes supérieure générale d’une congrégation née en 1350 et qui semble achever aujourd’hui sa magnifique course ; néanmoins l’ouvrage qui vient d’être publié à propos de votre Communauté [1] témoigne d’un optimisme que ne semblent avoir entamé ni l’âge grandissant des Sœurs, ni leur nombre décroissant. Comment est-ce possible ?

F. Chauvaux • Redécouvrir près de sept siècles d’existence était une entreprise osée. Avec quelques professionnels de « La Maison de la Mémoire de Mons », nous avons exploré les archives de la Congrégation. Elles avaient été épargnées à travers guerres, bombardements, inondations... et très bien classées par la sœur archiviste.

Notre propre histoire, relue aujourd’hui, nous émerveille et nous rend admiratrices des œuvres réalisées par celles qui nous ont précédées ; nous percevons une confiance inébranlable dans la Providence qui n’a jamais faibli à travers toutes les difficultés et les obstacles : les Pauvres Sœurs ont répondu aux appels successifs de l’Église et du monde, avec fidélité et humilité, suivant le charisme de la Congrégation, tout en s’adaptant à l’évolution de la société.

Archiver le présent nous a permis de considérer la fécondité de notre mission au cours des siècles. Les œuvres initiées par les Pauvres Sœurs sont appelées à être pérennisées dans l’avenir. Aujourd’hui, nous nous sentons toujours partie prenante de la mission de la vie religieuse apostolique dans une Église en marche. Ainsi, là où nous œuvrons actuellement, au service des personnes âgées, nous nous sentons responsables de la pastorale soit par la prière pour les Sœurs trop âgées ou handicapées, soit par des animations et des accompagnements spirituels pour les Sœurs encore actives.

Tous ces éléments nous dynamisent et nous rendent optimistes, remplies d’espérance pour notre avenir et ils justifient notre activité missionnaire. Comme je le disais en terminant l’interview de la vidéo que vous signalez : « Les personnes passent, mais les œuvres continuent ».

Vs Cs • Vous êtes nées d’un Béguinage, en marge d’un chapitre de Chanoinesses nobles de la Cathédrale Sainte-Waudru, mais dès l’origine, vouées à la pauvreté comme le dit votre beau nom ; et votre engagement s’est manifesté surtout dans le domaine de la santé. Vous avez tenu à demeurer présentes dans l’administration faîtière des hôpitaux, homes et autres lieux caritatifs que vous avez fondés ou assumés : pourquoi ? comment ?

F. Chauvaux • Le nom de « Pauvres Sœurs » s’est imposé dès la fondation. Neuf pauvres volontaires ont vécu en sœurs, d’où le nom de « Pauvres Sœurs ». Dans les manuscrits anciens, nous lisons : « En 1350, trois Pauvres Sœurs furent attachées à l’hôpital de Cantimprêt pour y soigner gratuitement les béguines âgées et malades, tandis que les six autres allaient en ville soigner les malades. Leur maison fort modeste possède une chapelle ; elles vivent en état de pauvreté ». Le charisme de la Congrégation s’est ainsi révélé dès le départ et jusqu’à ce jour : le soin des malades et des pauvres.

Au cours des siècles, la société a évolué et, dès le XIXe, les Pauvres Sœurs ont initié des institutions pour malades, handicapés, personnes âgées... Tout le monde sait que les grandes orientations institutionnelles se décident dans les assemblées générales et les conseils d’administration ; notre présence dans l’administration faîtière se justifie par le souhait de faire vivre l’esprit des fondatrices dans les différentes équipes, de transmettre le charisme dans les institutions, d’insuffler les valeurs chrétiennes qui nous animent, de veiller au choix d’un personnel compétent, respectueux de la personne, et des valeurs telles que l’éthique, la générosité, la gratuité... En un mot, de rendre nos institutions, humainement crédibles et chrétiennement significatives. Nous sommes convaincues qu’il faut aussi, dans la mesure du possible, être le levain dans la pâte. Depuis plusieurs dizaines d’années, nous avons ainsi privilégié les services d’aumôneries dans les institutions. Il s’agit maintenant, au-delà des institutions, d’assurer certains choix qui correspondent aujourd’hui à notre charisme dans la gratuité et l’humilité : service d’entraide, logements sociaux, visites de malades, soins palliatifs, logements intercongrégationnels pour religieuses âgées, attention aux migrants...

Vs Cs • Après avoir atteint de modestes sommets peu avant le Concile (moins de 120 membres), votre institut diocésain n’en compte même plus dix aujourd’hui. Vous déclinez donc, à vues humaines, mais vos œuvres prospèrent, notamment du côté de l’accueil des personnes âgées avec lesquelles vous vivez une étonnante cohabitation ; voulez-vous développer un peu cet état des choses ?

F. Chauvaux • À vues humaines, nous déclinons. Pas question de le nier. Avec lucidité, nous regardons l’avenir. Pas de nostalgie à la relecture de notre passé. Au contraire, il nous encourage à vivre pleinement et radicalement notre vie religieuse apostolique là où nous sommes aujourd’hui. Nous sommes au service des personnes comme nous avons toujours essayé de l’être le mieux possible.

L’infrastructure du bâtiment où nous vivons est prévue pour cette cohabitation avec les personnes âgées, tout en nous réservant quelques locaux communautaires.

Afin de développer les institutions, nous avons beaucoup misé sur la collaboration avec les laïcs, que ce soit pour les organes de gestion ou pour les tâches journalières. Nous avons porté une attention très particulière et prudente quant au choix des collaborateurs et conseillers sur le plan philosophique, idéologique, celui des compétences, du relationnel... La personne âgée, handicapée, malade, désorientée est et reste une personne à part entière avec sa culture, son histoire de vie. Elle est riche des connaissances acquises, de son vécu, de ses expériences, de la sagesse accumulée au cours des années. Elle a appris à relativiser les événements, à se fixer sur l’essentiel. Vivre avec ces personnes, les accompagner un bout du chemin de leur vie est très enrichissant pour les personnes qui les côtoient. Ce sont des bibliothèques vivantes, des puits de science, même si la vieillesse leur fait rencontrer certaines difficultés.

La Congrégation des Pauvres Sœurs s’inscrit entièrement dans le chemin tracé par saint Augustin. Dans sa règle écrite pour ses communautés religieuses, il porte une attention particulière aux personnes qui souffrent, d’une manière ou d’une autre. Nos constitutions adaptées après le Concile Vatican II nous disent : « Ce qui caractérise une Pauvre Sœur de Mons, c’est sa détermination à servir évangéliquement le Christ à travers les malades, les handicapés, les personnes âgées, les plus démunis, faisant écho à l’inspiration initiale qui animait nos fondatrices... Le service des plus pauvres, elle l’accomplit avec humilité, simplicité de cœur, dans un esprit de gratuité, d’effacement et de totale disponibilité à ses frères ». Vivre chaque jour au service des personnes âgées, c’est un appel de tous les instants. C’est une richesse à accueillir humblement. Que de remises en question personnelles nous sont proposées ! Et si nous apportons quelque chose à ces personnes, nous en recevons bien davantage.

Vs Cs • On peut lire dans l’ouvrage impressionnant de vitalité que vous venez de publier que « des fonctions nouvelles, directement inspirées des valeurs évangéliques et de la priorité à donner aux plus démunis, se mettent en place » dans vos propriétés (p. 121) ; cela passe par la distribution d’aliments, de vêtements, et aussi la mise à disposition de logements. Ne craignez- vous pas d’exercer une charité qui peut entretenir la misère ?

F. Chauvaux • « Les pauvres vous en aurez toujours avec vous » (Jn 12,8). Bien sûr, si les pauvres, les démunis sont au centre de nos préoccupations, ce n’est pas seulement pour leur procurer dans l’urgence vivres, vêtements, logements sociaux, répondre à des situations aiguës (« je n’ai plus mangé depuis deux jours »...), mais dans la mesure du possible, les remettre debout, leur rendre leur dignité. Ainsi plusieurs bénéficiaires du « Foyer saint Augustin » sont devenus bénévoles au Service d’entraide. Ils se sentent valorisés et assument certaines responsabilités. D’autres ont retrouvé du travail et ne doivent plus fréquenter ce service.

La présence d’un service social en collaboration avec la Maison internationale de Mons permet d’assurer une guidance en remédiation de dettes à ceux qui en ont besoin. La conjoncture actuelle n’améliore pas la situation de pauvreté que nous connaissons à Mons et dans le Borinage : fermeture d’entreprises, réduction des allocations de chômage,... Le service d’entraide fait un travail sérieux, qui tend à se professionnaliser tout en restant très humain, en collaboration avec d’autres organismes : Soréal (solidarité-récupération alimentaire), la plateforme de Bruxelles « Goods to give » (ouverture d’une droguerie sociale), etc. Avec certains, nous ferons un bout de chemin, mais nous sommes bien conscientes que nous ne les sortirons jamais de leur pauvreté. Et nous sommes aussi ouvertes aux nouvelles pauvretés : les migrants, les réfugiés, les sans-papiers.

Vs Cs • Comment voyez-vous l’avenir des œuvres liées à l’Église dans des régions qui sont, comme les nôtres, tellement marquées par de grandes institutions, aujourd’hui toutes en voie de totale déchristianisation ? Votre expérience des synergies possibles avec les autorités civiles vous inspire-t-elle quelque commentaire ?

F. Chauvaux • La plupart des institutions chrétiennes hospitalières ont été initiées par des congrégations religieuses. Aujourd’hui, vu l’évolution de la société et sa déchristianisation, vu les nombreuses fusions non seulement de même philosophie mais aussi de réseaux [2] différents, il me semble que c’est par le témoignage que nous pourrons évangéliser.

Je pense que, dans la mesure du possible, il faut établir au préalable des conventions solides, qui respectent les valeurs que nous voulons vivre, valeurs sociales, économiques, éthiques et spirituelles. Ensuite, il faut veiller à ce que ces accords soient respectés. Pour cela, il faut choisir des chrétiens convaincus et très compétents qui sauront se faire respecter et qui par l’exemple de leur vie induiront ces mêmes valeurs dans l’institution. Mais, ne soyons pas dupes, ces choix ne seront pas toujours possibles. De nouvelles normes légales sont prêtes à nous imposer des choix que nous ne souhaitons pas.

De toute façon, je crois que dorénavant nous devrons être de plus en plus « le levain dans la pâte ». Tout dépendra de notre force convictionelle à vivre l’évangile qui pourra faire rayonner nos valeurs chrétiennes. Ce n’est pas en vivant en ghetto que l’annonce de la Bonne Nouvelle peut se faire. Entendons notre pape François qui nous envoie aux périphéries. Et Jésus ne nous dit-il pas : « Voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20) ?

Propos recueillis par Noëlle Hausman, s.c.m.

[1Les Pauvres Sœurs de Mons. Depuis 1350. Un charisme, une histoire, un patrimoine, Mons, Pauvres Sœurs de Mons - Maison de la Mémoire de Mons, 2016. Voir aussi la vidéo : https://www.telemb.be/les-infos-mons-passe-et-avenir-des-pauvres d_20024.html

[2Le confessionnel et les autres, n.d.l.r.

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